Aldous Huxley a eu une vie intéressante : élevé dans l'Angleterre élitiste d'Eton et de Baillol, il fréquente les cercles intellectuels des années 1910 et 1920 (voisinant notamment le célèbre groupe de Bloomsbury) avant de trouver un asile en Californie, où il s'essaiera au LSD avant de mourir le même jour que J. F. Kennedy. La riche production littéraire qui en a découlé a toutefois subi le sort de la proverbiale forêt cachée par un arbre : si Brave New World a accédé à une célébrité bien méritée, les autres œuvres de Huxley sont moins connues.


Point Counter Point appartient à la veine du premier Huxley : c'est une satire de la vie mondaine et intellectuelle d'un petit milieu londonien. Derrière le brio et l'esprit qui scintille tout au long du roman, le lecteur découvre la vanité et les tourments des protagonistes privilégiés. Walter Bidlake fuit une femme qu'il n'aime pas, ravie à son mari pour des raisons quasi-théoriques, pour une mangeuse d'hommes qu'il n'aime pas voire qu'il méprise ; la distance et l'amour distrait de Philip Quarles vis-à-vis de son épouse manque de la lui aliéner. La liberté de mœurs des personnages étonne encore aujourd'hui (‘She can separate her appetite from the rest of her soul.’ ‘What a horror!’ Marjorie shuddered. Elinor observed the shudder and was annoyed by it into contradiction. ‘Do you think so? It seems to me sometimes rather an enviable talent.’) ; mais elle paraît accompagnée par les tourments et les insuffisances plutôt que par un accomplissement quelconque.


Cette description acide n'est, toutefois, pas qu'un bûcher des vanités contemporain. Elle a pour contrepoint le discours infusé tout au long du roman sur la perversité de la civilisation moderne. Perversité liée à la surproduction et à l'usage des ressources, qui est décrite en des termes très incisifs pour un roman de 1928 : “Quicker, because you’ll be bankrupt, you’ll have squandered your capital. It takes a rich man a little time to realize all his resources. But when they’ve all been realized, it takes almost no time to starve.”. Mais, plus fondamentalement, perversité lié à la rupture des ponts entre le corps et l'esprit opérée par la société technicienne (Bolsheviks and Fascists, Radicals and Conservatives, Communists and British Freemen — what the devil are they all fighting about? I’ll tell you. They’re fighting to decide whether we shall go to hell by communist express train or capitalist racing motor car, by individualist bus or collectivist tram running on the rails of state control).


Pour acéré qu'il soit, Point Counter Point est donc un roman aussi profondément humaniste qu'il est critique d'une société inhumaine. La satire par A. Huxley de la logique de la spécialisation, du productivisme et de la réduction de toute chose à ses fins s'inscrit donc dans la droite ligne de sa célèbre dystopie. Ajoutons qu'il n'est pas désagréable de la découvrir dans un roman plein d'esprit, qui prouve une fois de plus que castigat ridendo mores.

Venantius
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le 16 déc. 2018

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