Le narrateur, Witold, un jeune homme rejeté par ses parents, et son camarade Fuchs, haï de son patron qu’il côtoie toute la journée, tous les deux sans doute immatures et fragiles, se retrouvent à la campagne ; ils cherchent un logement. Avant d’arriver dans une pension de famille modeste, ils tombent, chose étrange, sur un moineau pendu.
«Perdu, couvert de sueur, je sentais à mes pieds la terre noire et nue. Là, entre les branches, il y avait quelque chose qui dépassait, quelque chose d’autre, d’étrange, d’imprécis. Et mon compagnon aussi regardait cela.
-Un moineau.
-Ouais.
C’était un moineau. Un moineau à l’extrémité d’un fil de fer. Pendu. Avec sa petite tête inclinée et son bec ouvert. Il pendait à un mince fil de fer accroché à une branche. Bizarre.»
Dans son introduction, Witold Gombrowicz donne, avec quelques extraits de son journal, les principes directeurs de ce roman publié en 1964 : Cosmos est «une sorte de récit policier», car c’est «un essai d’organiser le chaos». Un essai est le mot juste, car Cosmos est une œuvre qui plonge dans un abîme.
Au départ, le narrateur se trouve confronté à deux anomalies incompréhensibles, le moineau pendu, découvert dans un fourré, et le lien étroit qu’il conçoit entre les bouches de deux femmes, celle de Léna, fraîche et virginale, et celle de Catherette, déviante, impure, dans cette pension de famille.
«Ce que j’avais remarqué chez cette personne était un étrange défaut sur sa bouche d’honnête femme de ménage aux petits yeux clairs : cette bouche était comme trop fendue d’un côté, et allongée imperceptiblement, d’un millimètre, sa lèvre supérieure débordait, fuyant en avant ou glissant presque à la façon d’un reptile, et ce glissement latéral, fugitif, avait une froideur repoussante de serpent, de batracien, mais pourtant il m’échauffa, il m’enflamma sur le champ, car il était comme une obscure transition menant à son lit, à un péché humide et glissant…»
Tandis que l’intrigue avance, dans la chaleur écrasante de l’été et la tension du huis clos de la pension, Witold, personnage obsessionnel, désœuvré, épuisé par ses propres efforts, s’efforce avec son camarade Fuchs de donner un sens au chaos : comprendre ses désirs, et une réalité qui lui apparaît sous forme fragmentée – cheminée, corniche, arbrisseau, dessin au plafond qui forme comme une flèche, attitudes des corps, doigts jouant avec les couverts ou formant des boules de mie de pain sur la table, rapprochement entrevu de deux bouches, tout pourrait être signe. Cette réalité obscure, multitude d’événements et d’objets, peut-elle être reliée en une constellation, un cosmos ?
Plongée fantastique dans les pensées d’un héros en totale confusion, roman déconcertant sur la formation de la réalité, questionnement sur la forme auquel le récent «Pas Liev» de Philippe Annocque semble faire écho, «Cosmos» peut rendre fou, lorsque le lecteur qui le parcourt sans cesse au bord du gouffre, a l’impression constante d’osciller entre réalité et folie. Associations étranges, désirs empreints de perversion, compréhension fugace, et qui s’évanouit, toute croyance en une vision objective du monde est ici anéantie.
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