Un manuel d'initiation à la philosophie politique plutôt complet et intéressant dans son approche. Pierre Manent se propose de nous aider à nous orienter dans le monde contemporain, à travers les grandes problématiques qui intéresse tout citoyen un tantinet impliqué : la nation, l'individu, les régimes politiques, la place des religions, le rôle du commerce, l'héritage du nazisme et du communisme... Mais ce qui va concentrer l'attention de l'auteur, c'est l'émancipation des hommes à travers ce qu'il dénomme les grandes séparations.
Ces séparations sont nombreuses et parfois poreuses: sciences et valeurs, individu et nation, religions et État, vie privée et vie puublique... Le but de l'homme moderne, nous affirme-t-il est de "créer le cadre de sa vie, le cadre le plus neutre, le cadre le plus vide même, afin de pouvoir ensuite vivre d'autant plus librement. Il affirme la Science pour pouvoir mieux affirmer la Liberté." Aussi, au fil de ces très denses 340 pages, nous allons explorer la mise en place historique de ces différentes séparations.
Pierre Manent fait appel aux plus éminentes figures de la philosophie politique pour étayer ses propos : Aristote, Machiavel, Rousseau, Hobbes, Marx, Tocqueville, Montesquieu, Kant... Il inscrit ces différentes approches dans une dialectique, dont il essaie de tirer le raisonnement le plus pertinent et le plus en phase avec notre vision moderne de la politique. De ce point de vue, on ne peut pas lui reprocher de se focaliser sur les auteurs qui l'arrangent. En revanche, on notera tout au long de son argumentation, une volonté assez indéboulonnable de présenter la démocratie libérale moderne comme l'aboutissement ultime de l'évolution politique humaine. Balayant d'un revers de la main les monarchies, régimes communistes ou hybrides, en manquant parfois de mise en perspective ou de recul.
Cours "familier" annonce le titre ? Dans un sens oui, puisqu'il nous parle principalement de ce que l'on connaît et de notre environnement politique immédiat : des démocraties occidentales, mais surtout notre république française et le système démocratique qu'elle bâtit depuis 1789. Qu'en est-il des régimes plus autoritaires dont semblent s’accommoder d'autres populations, comme en Russie ? Que dire de la mise en place extrêmement laborieuse de systèmes démocratiques efficaces dans de nombreux pays d'Afrique ? Ces sujets sont un peu éludés.
Pierre Manent est assez cohérent et convaincant quand il vend la construction de l'individu au sein de la nation. Il l'est également quand il aspire à la "paix perpétuelle" kantienne tout en rappelant qu'elle ne sera pas réalisable à travers une évolution morale ultime de l'humanité, mais grâce à un système d'équilibre des intérêts (un état de "non-guerre" plutôt que de "paix" en somme). Il l'est un peu moins quand il invoque Nietzsche pour regretter la combattivité humaine et son inaction, quand il rejette le mariage homosexuel comme étant pâle imitation du mariage hétérosexuel, ou quand il s'inquiète de la fin de la politique et de l'avènement d'une ère "humanitaire". On s'étonnera aussi, qu'un ouvrage vantant les vertus de la reconnaissance de l'individu et de l'affirmation de la liberté, ne parle à aucun moment de l'anarchisme.
L'ouvrage date de 2004, et on se rend compte que la quinzaine d'années qui le sépare de nous lui confère quelques lacunes aux yeux du lecteur de 2020 (les questions environnementales et migratoires, le retour en force des thématiques de démocraties directes, la faillite des partis politiques traditionnels ne sont que quelques exemples de thématiques qui font défaut à ce manuel).