« Crazy » folle, et « brave ». C’est ce qui pourrait sans doute résumer l’existence de Joy Harjo, véritable indienne de père Creek et de mère Cherokee, descendante d’une longue lignée de guerriers et de chefs indiens. mais ce serait sans doute réducteur, car l’auteure est bien plus que cela. Elle est d’abord une formidable conteuse, et ce qu’elle nous livre ici dans ce roman est d’abord son parcours existentiel depuis son âge de petite fille, voire avant même sa naissance, jusqu’à sa vie de femme célibataire mère au foyer. Elle affrontera tour à tour un père souvent absent et qui finit par divorcer, un beau-père violent qui frappe sa mère et la frappe également, et ne songe qu’à lui faire quitter le domicile, des déménagements, des études anarchiques presqu’au gré de ses aspirations, des rencontres avec des beaux parleurs qui la font se retrouver mère sans emploi et sans domicile sur le tôt et la battront également. Mais, chaque épreuve contient son lot de spiritualité et ses victoires. Elle est petite-fille de chefs, elle ne se contentera jamais de baisser les bras. Elle puise dans ses racines la volonté d’aller de l’avant, de s’en sortir, toujours avec beaucoup de sagesse empruntée à ses ancêtres.
Avec Crazy Brave, Joy Harjo décrit également la triste réalité de la condition indienne durant toutes ces dernières années, avec en tête la spoliation de leur terre. Un indien ne peut exercer que des emplois subalternes, ne peut pas prétendre à des études poussées comme n’importe quel « blanc ». Tant qu’à faire, autant les regrouper entre eux. C’est dans cette discrimination qu’elle puise sa force et son identité. Elle veut être poète, femme de lettres, musicienne. Des métiers que l’on imagine pas forcément pratiqués par des indiens. le témoignage le plus troublant de ce récit est sans conteste celui de son accouchement, où elle se retrouve dans une clinique payée par l’état américain dans le cadre des conventions signées entre les représentants du peuple indien et le gouvernement. Elle s’y sent comme un numéro, soignée par un médecin qui n’est là que pour se faire payer ses études, surveillée par des sage-femmes pour qui une indienne, jeune en plus, ne peut faire preuve de discernement…. Dans l’Amérique pré-Trump, mais lorsqu’on sait comment il se comporte vis à vis des minorités, ça fait réfléchir.
Mais Joy Harjo ne renoncera pas. Portée par l’esprit de ses ancêtres, elle mène sa propre guerre, celle qui lui donne son identité, son indépendance, qui lui permet de laisser exprimer sa culture. Et c’est une formidable poésie et une leçon de vie qu’elle nous délivre, tout au long de ce certes court roman ( à peine 165 pages) mais dense, une réflexion sur la vie dont nous sortons grandis d’avoir écouté la parole des anciens. Un livre essentiel.
Je remercie les éditions Globe de m’avoir permis de découvrir ce parcours initiatique.