Le Garçon
7.5
Le Garçon

livre de Marcus Malte (2016)

A-t-il eu un nom un jour ? Nul ne le saura, surtout pas lui. Peut-être sa mère, encore aurait-il fallu qu’elle ne meurt pas en le laissant au milieu de la forêt. Muet, illettré, vivant en ermite, celui que l’auteur appelle simplement « le garçon » comme pour bien montrer qu’il n’est en définitive pas grand-chose, décide de quitter le seul lieu de vie qu’il connait pour découvrir le monde. Le voilà tour à tour garçon de ferme, compagnon de lutteur de foire, frère adoptif et amant d’une jeune fille musicienne solitaire, soldat de la première guerre mondiale. Observateur de ce qui l’entoure, il copie, il imite, il dépasse. Et tout au fond de lui il comprendra qu’il n’est nulle issue dans l’existence.
Depuis quelques temps déja, l’idée me titillait de me frotter au roman de Marcus Malte, prix Femina 2016, décrit parfois comme une épopée humaniste. C’est effectivement ce qu’il est: une épopée flamboyante, brutale, magnifique et grotesque. On pourrait penser que Malte a relu ses classiques avant de se lancer dans ce roman-fleuve. Parce qu’il y a du Malot dans le Garçon. Il y a aussi du Hugo, du Stendhal, du Zola, selon l’époque où se déroule l’action. On pense à Truffaut et son enfant sauvage…
1908, nous faisons sa connaissance, la découverte de ses semblables, puis celle de Brabek l’ogre des Carpathes le lutteur au grand coeur : sans doute une des plus belles partie du roman, malheureusement trop courte alors qu’il y baigne une atmosphère douce-amère, la découverte de ce que pourrait être le bonheur. C’est « Sans Famille » d’Hector Malot. La seconde partie nous emmène chez Emma, jeune musicienne belge d’origine, orpheline de mère, vivant avec son père. Dès le départ le Garçon la fascine: elle tente de le faire parler, de lui enseigner l’écriture, en vain. Il deviendra alors son confident de musique et de lecture, puis son frère d’adoption, et enfin son amant, chacun se découvrant un appétit sexuel insatiable. Elle le baptise Félix, lui donne le nom d’un musicien qu’elle adore. lui s’en contente, jamais contrariant, jamais contrarié. Emma Bovary? Pourquoi pas. Mais cette partie aurait gagné à être plus courte, plus condensée, probablement parce j’ai eu la sensation de passer à du Victor Hugo, écrivain sans doute flamboyant mais trop ampoulé pour moi (désolé pour les puristes). Et puis… la guerre. Effroyable. De quelques phrases, Marcus Malte fait du carnage un reportage photographique, une correspondance de conflit. Zola dans Germinal. Cendrars dans J’ai tué et la Guerre au Luxembourg (et d’ailleurs est-ce un hasard si à la fin du conflit le Garçon se fait offrir ce livre par un adjudant à qui il a sauvé la vie ?) C’est cru, c’est horrible, ça grouille de plaintes et de morts, de violence, le bruit des explosions nous troue les tympans quand la fumée nous brule les yeux. Dès lors, le Garçon ne sera plus comme avant. Quelque chose s’est brisé en lui. Est-ce parce que, lui qui n’est finalement qu’une éponge au contact de ses semblables, qui a passé son enfance à savoir se contenter de ce qu’il a, n’arrive pas à comprendre le monde et sa volonté de se détruire?
Retour au point de départ, on le retrouvera errant, condamné, toujours, encore, par ceux qui refusent d’admettre son existence. Bagnard. Fuyant le monde, jusqu’à l’ultime voyage…
Ce roman fleuve n’est malheureusement pas sans lourdeurs, qui à plusieurs reprises m’ont gâché mon plein plaisir: des phrases à n’en plus finir, véritable catalogue où l’on renonce à compter le nombre de « et » tant ils sont nombreux, ralentissent le récit et le plombent régulièrement par endroit. Des descriptifs évènementiels, marquant chaque époque de la vie du Garçon, qui là encore n’apportent rien au récit en dehors d’un ancrage historique et qui gênent l’avancée de l’histoire. Et puis, même si on peut adhérer au côté romantique et se dire qu’il est là pour préparer le contraste avec la violence, les longues pages des amours quasi ancillaires d’Emma et de son protégé diluent plus qu’elles ne renforcent la relation.
Un petit bémol pour un roman qui compte surtout des qualités, et va sans doute demeurer longtemps un des récits les plus poignants qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années. J’ignore tout de la mécanique des prix littéraires. Je n’y suis pas sensible. Mais au final, j’y trouverais une certaine logique en refermant la dernière page.

MichaelFenris
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le 11 déc. 2018

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Michael Fenris

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