Traduit en justice
En fin d’ouvrage de l’édition Babel, le traducteur André Markowicz raconte l’anecdote du vol de son ordinateur, contenant un bon premier tiers de "crime et châtiment". Obligé de s’atteler une...
Par
le 8 sept. 2014
103 j'aime
39
Après plusieurs mois à prendre la poussière sur ma modeste étagère submergée de livres, j’ai enfin pris mon courage à deux mains afin de m’attaquer à ce petit pavé russe, considéré comme un chef d’œuvre de la littérature. Un de ces livres qu’il faut avoir lu au moins une fois.
Non pas que les ouvrages imposants me fassent peur, j’en ai lu de plus gros, mais je ne sais pas, c’était comme si l’association pavé et auteur russe me faisait redouter quelque chose de lourd et pompeux.
Une fois n’est pas coutume, je suis bien heureux de m’être inscrit en faux avec mes préjugés. Car oui, la visite en terres St-Pétersbourgiennes fût un véritable délice, mes papilles ne s’en étant toujours pas remises, c’est pour dire. Alors oui, autant être clair, direct, concis, et même si majorité n’est pas critère de vérité, je rejoins l’avis général. Crime et Châtiment est un (presque) chef d’œuvre, point final, aucune discussion possible (vous voyez comme j’aime les débats ?).
La trame du livre de Dostoïevski est simple, limpide, concise, ce qui n’empêche pas l’œuvre d’être d’une grande profondeur et qui amène moult questionnements. La narration est centré sur le personnage de Raskolnikov, jeune St-Pétersbourgien sans le sous, endetté jusqu’au cou, habitant dans une modeste chambre dans les bas-fonds de cette nouvelle Babylone où il côtoie constamment cette misère formidablement décrite par l’auteur, et ayant dû mettre un terme à ses études faute de ressources pécuniaires.
Révolté par sa situation, l’injustice de l’existence, se pressentant un grand destin (excès de narcissisme ?) celui-ci prévoit de faire d’une pierre deux coups. Débarrasser le monde d’un parasite, son usurière, ce qui est pour lui un acte digne des grands hommes et en profiter pour prendre un nouveau départ en détroussant cette dernière (voler un voleur est ce voler ?). Raskolnikov, c’est en fin de compte un homme qui se croit au-dessus des autres, mais qui, comme le chat, finit par retomber sur ses pattes. N’ayant pas pu s’assumer son acte, c’est à une véritable décente en enfer psychologique que nous assistons ensuite. Nous entrons littéralement dans la tête de Raskolnikov, empreint aux questionnements, noyé de doutes et de désillusions, grâce au talent de Dostoïevski…..
Je ne parlerai pas plus des développements de l’histoire pour laisser le lecteur le plaisir de la découverte (car oui, lire une critique qui révèle trop de chose peut nuire grandement à une future lecture…)
Outre le fil rouge de l’ouvrage et le devenir de notre ami (?) Raskolnikov, L’auteur nous présente une galerie de personnages hauts en couleur, tous mieux écrits les uns que les autres, bien que personnellement, j’ai eu plus de mal avec les personnages féminins, bien moins intéressants que leurs homologues masculins (en particulier la sœur et la mère de Raskolnikov). Entre Razoumikhine l’ami dévoué, cet ivrogne attachant de Marmeladov, ce délectable Porphyre, ce fieffé sacripant de Petrovitch, ce torturé de Svridigailov, cette émouvante Ivanovna, cette sainte Sonia, la galerie est étoffée et toujours surprenante ! Certes le personnage le plus marquant, le plus complexe demeure Raskolnikov, mais rarement j’ai pu côtoyer des personnages aussi captivants et parfois même touchants, du grand art monsieur Dostoïevski !
Mais Dostoïevski c’est aussi une belle plume au service d’un fond d’une richesse incroyable. Non pas une plume lourde et pompeuse comme naguère je pouvais le supputer, mais d’une rare limpidité, précise, directe, sans fioritures stylistiques, qui fait mouche à chaque instant. C’est aussi un vocabulaire savamment choisi, un peu comme l’entrée au Fouquet’s, trié sur le volet. Les 700 pages de l’ouvrage ? On les savoure avec le plaisir d’un fin gourmet devant un bon plat pardi !
De plus, notre bon russe, non content d’avoir une plume agréable, sait varier les plaisirs. Outre la description parfaite de cette misère humaine citadine qui parcourt le livre en arrière-plan, un des traits caractéristiques de Crime et Châtiment, qui donne un côté théâtrale à l’œuvre et qui m’a surpris au départ, est cette habitude de laisser une grande place aux dialogues entre les différents personnages, chacun parlant souvent pendant plus d’une page ! Décontenancé au départ, mais finalement charmé par ce procédé, surtout quand on a le droit à des dialogues si astucieusement écrits, profonds, denses, marquants, qui donnent lieu à de véritables joutes verbales, comme celle, magnifique, entre Raskolnikov et Porphyre pleine de sous-entendus.
Très bien rythmé pour un livre de ce volume, le récit est aussi parsemé de scènes d’anthologie qui vous resterons en mémoire longtemps après avoir refermé le livre. Par exemple je pense que tous les lecteurs de Crime et Châtiment se souviennent encore de la scène où Dostoïevski emprunte au genre policier à travers d’une scène où le suspense et la tension se font haletants afin de narrer l’instant du meurtre. Moment d’une puissance rarement vu. Pour autant, le texte de Dostoïevski fourmille de scène du genre, entre un banquet qui dérape ou encore une scène précédent l’épilogue marquante, il y a de quoi faire, ne vous inquiétez pas…
C’est avec une grande émotion et une pointe de tristesse qu’on referme le livre, après un voyage sublime de plusieurs heures.
Enfin de compte, je voulais juste dire que j’ai adoré Crime et Châtiment.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres, 2014 et ses lectures primordiales, Pérégrinations littéraires 2014 d'un chinois pas comme les autres, Mes romans et Les meilleurs livres russes
Créée
le 29 juin 2014
Critique lue 13.4K fois
89 j'aime
11 commentaires
D'autres avis sur Crime et Châtiment
En fin d’ouvrage de l’édition Babel, le traducteur André Markowicz raconte l’anecdote du vol de son ordinateur, contenant un bon premier tiers de "crime et châtiment". Obligé de s’atteler une...
Par
le 8 sept. 2014
103 j'aime
39
Après plusieurs mois à prendre la poussière sur ma modeste étagère submergée de livres, j’ai enfin pris mon courage à deux mains afin de m’attaquer à ce petit pavé russe, considéré comme un chef...
le 29 juin 2014
89 j'aime
11
Que dire ? J'ai l'impression, justifiée, d'avoir passé des semaines à me plonger dans ce livre, à suivre la pénitence de Raskolnikov dans un Saint-Pétersbourg macabre et étrange. Ce que je redoutais...
Par
le 24 déc. 2012
47 j'aime
2
Du même critique
The Tree of Life c’est : A : abstrait B : barbant C : captivant, nan je blague, chiant D : déconcertant E : emmerdant F : fatiguant G : gonflant H : halluciné I : imbuvable J : joli K :...
le 28 août 2013
143 j'aime
60
Brazil, film de l’ancien Monty Python Terry Gilliam (Las Vegas Parano ou encore l’armée des 12 singes), réalisé en 1985 son premier grand film (et même le plus grand de sa carrière ?), relate...
le 20 mars 2013
135 j'aime
15
Dimanche au travail, dimanche sans visiteurs, dit donc dimanche de la critique. C’est Les Sentiers de la gloire qui passe cet après-midi au Scanner de Confucius, de manière désorganisée et rapide...
le 24 juin 2013
125 j'aime
17