Dans ce saisissant récit de son attaque par un ours, l'anthropologue Nastassja Martin raconte sa transfiguration, la façon dont la spécialiste des relations interspécifiques se transforme à son tour : son devenir ours, son devenir chaman... Plus que le récit de son accident, c'est la seconde partie du livre qui se révèle lumineuse : quand l'anthropologue questionne son rapport au monde, comme pour le mettre en abime. Dans ce récit un peu brouillon qui peine à décrire le monde (contrairement aux Âmes sauvages, sa thèse d'anthropo) c'est l'introspection qui est ici lumineuse, sûr les multiples sens de cette rencontre entre un ours et une femme, entre la vie sauvage et la vie humaine, et ce que cette rencontre dit du monde.
"On vit ainsi consciemment dans l'illusion de l'éternité, parce qu'on
sait pertinemment qu'en un instant tout ce que l'on a toujours connu
se délitera, se recomposera, ici ou ailleurs, se métamorphosera et
deviendra ce quelque chose d'insaisissable dont on ne pourra plus rien
assumer. Cette potentialité terrifie tout le monde. Parce qu'elle est
connue de tous en forêt et parce qu'on l'attend toujours au détour du
chemin, on s'accorde silencieusement pour la taire".