Le premier, Umberto Eco a osé faire d'un couvent le lieu d'une enquête policière palpitante. Dans sa lignée, mais avec plus d'ambition, Antoine Sénanque nous offre un roman rempli d'aventures parfois rocambolesques. A la croisée des genres, entre roman historique, essai théologique et roman policier, ce curieux auteur, passé de l'exercice de la médecine à la littérature, nous fait suivre les aventures de moines dominicains à travers l'Europe rongée par la peste jusqu'en Orient. La reconstitution de la vie au quatorzième siècle est très bien documentée ( mieux peut-être que chez Eco). En particulier, nous apprenons beaucoup sur les simples, les remèdes naturels que les moines ont développés, pensant peut-être ainsi conserver leur influence à travers l'exercice de la médecine à une époque où cette dernière n'existait pas encore en tant que telle; ils voyaient en effet les laïcs s'approprier peu à peu leur création intellectuelle: les universités.

Les différents courants au sein de l'Eglise catholique offrent un aperçu des rivalités bien humaines donnant lieu à des haines féroces de la part de ceux qui, manquant de foi, craignaient toute perte de pouvoir. Le rôle de l'Inquisition, en particulier, est très bien rendu. Même si ce tribunal laissait aux laïcs le soin d'exécuter leurs jugements, qu'ils ne prononçaient pas directement de sentences de mort et que tout reniement de l'accusé valait pardon, quand il avait à sa tête un ambitieux sans scrupule, il constituait bien un moyen d'exercer le pouvoir par la terreur.

L'Histoire a retenu le rôle néfaste de certains moines, mais aussi les grandes figures d'autres religieux qui traversent ce roman: Maître Eckhart et Marguerite de Porete, expliquant le rôle de cette dernière dans la pensée du grand théologien. La force du roman est d'imaginer qu'elles auraient pu être les relations entre ces deux grands mystiques pour lesquels la foi était un don total d'amour en Dieu. Craignant que cette relation intime puisse affaiblir l'institution d'une Eglise qui serait devenue accessoire – et donc attiser la barbarie d'une population encore largement aux balbutiements de la civilisation -, ils furent accusés d'hérésie. Le côté passionnant est l'importance donnée dans ce roman aux idées et au livre qui les véhicule, ici, objet de toutes les convoitises ( autre point commun avec Le nom de la rose). La pensée de Maître Eckhart est rendue vivante dans le roman, bien loin des complexes interprétations théologiques portées pendant plusieurs siècles par les plus hauts esprits d'Europe. Elle reste très actuelle, une source de réflexion pour tout croyant qui cherche à affiner son rapport à Dieu : " Que tu dises qu'Il est infini ou qu'Il fait la taille d'une mouche, Dieu n'est rien de ce que tu peux en dire. Mieux vaut dire alors que Dieu n'est rien. Ou dire qu'Il n'est pas, plutôt que ce qu'il est à l'horizon de notre faible intelligence. Dès que tu parles de Dieu, dès que tu le qualifies, tu le fais exister comme une créature. Et c'est cela, dont il faut se séparer. Du Dieu créature." (p.164, Grasset)

Si vous voulez découvrir cette pensée agréablement, si vous voulez faire mentir le prieur qui prévoyait que le monde deviendrait petit, privé de spiritualité et dominé par les médiocres, lisez ce bon roman qui invente une fin de vie pleine de surprise au théologien rendu fou de douleur!

jaklin
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le 24 juil. 2024

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