Splendeurs et misères de la Grèce

Livre accessible mais d'une érudition stupéfiante.

Peter Green réussit le tour de force d'embarquer le lecteur depuis la mort d'Alexandre jusqu'à celle de Cléopâtre sans jamais le perdre, et ce malgré les circonvolutions historiques innombrables de cette étrange période.

Avec la mort d'Alexandre, son vaste empire, qui ne tenait que par son aura exceptionnel, se retrouve vite déchiré entre les ambitions de ses généraux (diadoques). Le monde méditerranéen se stabilise au IIIè siècle entre ces grands royaumes helléniques, l'Egypte Ptolémaïque, le Moyen-orient séleucide, la Macédonie et les différentes cité-états grecques.

Peter Green tire un constat assez sévère de cette période, en contraste avec la période classique: ces grands royaumes helléniques sont marqués du sceau de l'hubris de leurs dirigeants, qui exploitent leurs royaumes sans vergogne et s'abandonnent dans des querelles dynastiques sans fin (la dégénérescence des Ptolémée entre inceste, parricide et usurpation est vraiment saisissante!). Les cités-états grecques ne sont pas épargnées non plus, incapables de retrouver leur indépendance perdue, toujours enclines à se déchirer entre-elles, louant allégeance à telle puissance dominante du moment.

Peter Green bat en brèche la doxa qui ferait de cette époque l'expansion et le rayonnement de l'hellénisme et de la culture grecque via les royaumes gréco-macédoniens des successeurs. Il montre, à l'instar des Ptolémée en Egypte, que cette culture grecque resta l'apanage d'une élite minoritaire au pouvoir et largement détestée par le reste de la population. Alexandrie, capitale créée par Alexandre, fut le lieu de la culture grecque, mais aussi et surtout de la luxure et de la débauche en tout genre, des intrigues de palais innombrables. Il fallut attendre Cléopatre VII, soit la dernière Lagide pour qu'un Ptolémée apprenne la langue égyptienne, et ce malgré 3 siècle de règne!

Il montre également que l'art héllénistique fut largement inférieur à l'art classique, que ce soit en littérature, sculpture, peinture et fut souvent une pâle copie des grands artistes de l'âge d'or grec du milieu du Vè siècle (Phidias, etc). Est en cause le régime politique privilégié de cette période, l'autoritarisme monarchique. Conjointement à cette décadence artistique, Peter Green explique également l'attrait grandissant de systèmes philosophiques, dont le représentant éminent fut bien entendu le stoïcisme, prônant l'introspection, l'atteinte de l*ataraxie* dans le cadre de la vie privée tout en légitimant une vision conservatrice du monde, par la perte des libertés politiques de nombreux citoyens, l'exemple le plus criant étant Athènes.

Ces luttes intestines entre royaumes gréco-macédoniens en méditérannée orientale se fait sur montée progressive de Rome qui, comme le démontre l'auteur, n'en vient à étendre son emprise territoriale sur tous ces territoires que presque malgré elle. C'est avant tout pour stabiliser ses frontières, défendre ses intérêts commerciaux, réprimer des mouvements révolutionnaires, et non par une impulsion impérialiste, que Rome en vient à annexer la Grèce, l'Asie Mineure, la Syrie puis enfin l'Egypte.

Ce livre s'ouvre et se termine sur les deux figures les plus flamboyantes de cette période, Alexandre et Cléôpâtre. Après des années de dégénérescence (génétique et morale) des Ptolémée, Cléopatre VII apparait en effet comme la sublimation de sa dynastie et de son époque. Brillante, audacieuse, séduisante, extrêmement ambitieuse, elle parvient à rétablir la grandeur de l'Egypte et menace Rome dans le couple qu'elle forme avec César et Marc-Antoine. On peut y voir un peu de la magie de l'Histoire qu'une personnalité si éblouissante ait clôt une période si troublée, si démesurée et en même temps si fascinante.