Premier volet de la trilogie des ombres d'Indridason, consacré à un épisode de l'histoire de la seconde guerre mondiale peu connu en France, mais qui a, et pour cause, marqué l'Islande : l'occupation militaire du pays par les troupes anglaises, puis étasuniennes de 1940 à 1946. Celle-ci survint en mai 1940, un mois après l'invasion du Danemark par les nazis. A l'époque, l'Islande était régie par un acte d'union dano-islandais, qui lui donnait un statut d'état souverain tout en demeurant dans la royauté danoise : une sorte de statut transitoire, qui perdurera jusqu'à l'expiration de l'acte d'union en 1943, puisque l'Islande était jusqu'à la fin de la première guerre mondiale une possession danoise. Sachant qu'en 1944, l'Islande prendra un plein statut d'état indépendant; le Danemark, toujours occupé par les nazis n'aura pas son mot à dire !
Indridason se penche volontiers sur l'histoire de son pays et il l'a fait à maintes reprises dans sa série Erlendur, en y intégrant des retours en arrière historiques. Dans ce premier volet, il s'attache à décrire les bouleversements sociaux engendrés par l'occupation au moment où les britanniques commencent à laisser la place aux étasuniens. L'Islande était à cette époque un pays assez isolé du reste du monde, malgré la présence d'une diaspora au Danemark et en Amérique du Nord. Somme toute assez logique, du fait de la situation géographique du pays et de sa faible attractivité touristique (ce dernier trait a évolué depuis). L'arrivée de l'armée étasunienne, avec ses moyens économiques importants et ses officiers et troupiers à héberger, distraire et occuper va donc susciter de nombreuses activités nouvelles, dans une sorte de boom économique : lieux de loisir et de détente, services divers (blanchisserie, par exemple dans le bouquin) dans un pays auparavant centré sur la pêche et l'agriculture. Ce sont ces évolutions que l'on découvre tout au long du livre à travers de multiples personnages, avec comme toujours chez Indridason, un regard réaliste porté sur les couches sociales les plus défavorisées, ainsi que sur la place des femmes dans la société. Car certaines islandaises verront dans cette occupation l'espoir - via le mariage - d'échapper à leur condition actuelle et à des perspectives pouvant être peu réjouissantes.
A côté de cela, ça reste bien entendu un roman policier, et l'auteur est fidèle à son style, sombre, sans fioriture et très descriptif. Les deux enquêteurs vont remonter, de rencontre en rencontre, le fil d'un drame dont les causes remontent - comme souvent chez Indridason - assez loin dans le passé. Où l'on s'aperçoit - mais est-ce vraiment une surprise - que ce sont les plus faibles qui au final vont morfler. Sauf qu'avec l'occupation, tous ceux qui n'étaient pas faibles avant le sont peut-être devenus.