Premier livre de Gaudé et la curieuse sensation que cet auteur va venir bouleverser ma récente relation privélégiée avec Akira Yoshimura ou la littérature chilienne bien ancrée à sa place quant à elle.
Il y a la même fluidité extrême que Yoshimura, où la lecture commencée ne s’arrête qu’à sa toute fin. La même notion de tragédie, où les atmosphères, décors et personnages sont d’une imagerie puissante, faites d’émotion et de nostalgie que l’écriture véhicule au fil de courts chapitres. Langage direct, phrases simples et tout autant courtes, mesurées et bons mots choisis pour nous dépeindre la violence, pour s’interroger sur le bien-fondé d’une vie, questions essentielles et existentielles nécessaires à la rédemption, une fois l’échéance survenue.
Dans la littérature chilienne, la force se trouve bien souvent dans la description de ces contrées perdues du bout du monde, de ces hommes et femmes qui naviguent dans l’adversité, ces peuples qui n’ont pas oublié de se battre malgré la défaite évidente. Je retrouve dans l’écriture cet amour de l’humain et ses ambiances hors du temps, que l’on retrouve particulièrement dans la nouvelle, Le Colonel Barbaque.
Rien que le titre invite au voyage et participe à notre imaginaire. Hormis la seconde nouvelle se situant à New-York, les trois autres nous invitent en Afrique et il faudra se laisser conquérir par la douleur dépeinte à chaque page... mais rattrapée par toutes les preuves d’amour qui s’y nichent.
Dans Le sang négrier c’est la culpabilité qui rongera notre héros et la prise de conscience des actes impardonnables, du refus et de la haine de l’autre qui amènera l’homme à un massacre ordinaire.
Gramercy Park Hotel est d’une émotion palpable, teintée de forte nostalgie où l’on accompagne un vieil homme dans ses souvenirs et amours perdus. Les regrets de ses rêves abandonnés et le sursaut salutaire.
Le colonel Barbaque pour un triste constat de la condition de soldat (les poilus) à la sortie de la guerre. Un homme qui décidera de devenir « noir » et partira en Afrique livrer une autre guerre. La violence et la perte d’identité sont encore une fois fracassantes pour une lucidité retrouvée tout autant dramatique.
ET
Dans la nuit Mozambique reste la plus belle nouvelle, la plus optimiste aussi, où comment l’art de raconter des histoires nous sauve de notre propre oubli.
De toutes ces nouvelles, il en ressort et contre toute attente, l’optimisme de celui qui de ses propres expériences dramatiques se relèvera pour se retrouver en paix avec lui-même.
L’âge peut-être aide à ce sentiment d’être en accord avec l’auteur, comme une sorte de réminiscence bienheureuse malgré tous les regrets, rêves et fantasmes de ces protagonistes sur la brêche. Ceux qui ont rêvé et ont été oubliés. Le temps qui passe inéxorablement a cet effet contradictoire de bien-être, qu’apportent les instants de bonheur fugaces.
Et comme dirait l’un des personnages qui s’inquiètera de ne plus pouvoir entendre ces belles histoires, je viens, pour éviter la même déconvenue, d’acheter 4 ouvrages de Gaudé…
Je conseille très fortement.