À travers le parcours d'Erdogan, c'est près d'un siècle d'histoire de la Turquie que l'auteur revisite. Du poids des confréries Gulen et Naqshbandi, véritables États dans l'État, à l'héritage du Refah d'Erbakan en passant par la mythification des anciens dirigeants qu'ont été Menderes et Ozal ou son propre passage en prison, Erdogan a littéralement construit le roman de son accession au pouvoir, faisant preuve au passage d'un storytelling d'une grande modernité.
L'auteur montre ainsi très bien comment la Turquie est traversée par plusieurs lignes de fractures qui constituent une véritable matrice de la vie politique turque : entre Orient et Occident, démocratie et dictature, islam et laïcité, Russie et Eurasie, tradition et modernisme, antisémitisme et soutien à Israël, ruse et coups de force, Erdogan navigue avec habileté pour se maintenir au pouvoir, imprimant sa marque sur le pays comme aucun dirigeant ne l'a fait depuis Mustapha Kémal.
J'ai particulièrement aimé la manière dont Guillaume Perrier démontre comment Erdogan s'est servi de l'Europe et de ses exigences démocratiques en vue d'une éventuelle adhésion comme d'un moyen pour se débarrasser de l'emprise de l'armée et du kémalisme, et ainsi faciliter sa conquête politique.
Grâce à un récit précis et pédagogique, très largement sourcé, l'auteur nous propose une structure simple et efficace en une dizaine de chapitres qui peuvent se lire dans n'importe quel ordre et nous éclairent sur la complexité d'un pays fascinant.