Donc, je récapitule : un jeune héritier fortuné qui, n'ayant manifestement pas besoin de travailler pour vivre, traîne son spleen de bourgeois, sa misanthropie et sa culture littéraire de droite decomplexée (Ernst Jünger, Henry de Montherlant, Paul Morand, etc.) jusqu'aux rives du lac Baïkal... Arrivé là-bas, il y régurgite à longueur de pages un mépris absolu du genre humain, un égoïsme forcené de bourgeois bien nourri, sur fond d'individualisme pseudo-anarchisant, non, pas anarchisant, chaotique ! et individualisme écolo-mystique à deux balles et surtout totalement dépolitisée.
En plus, il n'a strictement rien à dire sur la Russie, si ce n'est gueuler sur l'administration qui l'oblige à renouveler son visa tous les 90 jours, ou sur la Sibérie, si ce n'est pour "parler la langue des arbres" (ben voyons), se demander où donc le soleil puise-t-il "le courage de se lever tous les jours" (comme ces gros cons de salariés, allo Sylvain ??) ou boire des flocons de neige en fumant des Havane tandis que les abrutis grégaires que nous sommes, nous empiffrons-nous parait-il de cheeseburgers.
L'idée que ce type a de sa personne est inversement proportionnelle au mépris qu'il porte à l'humanité, c'est vraiment ce qui m'a le plus glacé et pétrifié.
Je choisis un extrait particulièrement évocateur, et qui a eu au moins le don de faire le tri dans mes connaissances :
"Un ermite ne menace pas la société des hommes. Tout juste en incarne-t-il la critique. Le vagabond chaparde. Le rebelle appointé s'exprime à la télévision. L'anarchiste rêve de détruire la société dans laquelle il se fond. Le hacker aujourd'hui fomente l'écroulement de citadelles virtuelles dans sa chambre. Le premier bricole ses bombes dans les tavernes, le second arme des programme depuis son ordinateur. Tous deux ont besoin de la société honnie. Elle constitue leur cible et la destruction de la cible est leur raison d'être. L'ermite se tient à l'écart, dans un refus poli (...) Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité."
Beaucoup considéreront qu'il n'y a aucun problème à cet extrait qu'il pourrait pourtant trouver dans Le Point. Bouffi de fantasmes, de préjugés, Tesson juxtapose l'ermite et le rebelle pour en vanter la vertu de l'un et l'hypocrisie de l'autre, sans autre conception plus élargie que le petit bout de son nez ; c'est comme ça qu'il a été élevé par son vieux ; ça veut penser le monde, ça traverse le monde mais le point de vue est faible, petit, mou et sans considération sociale. Le padre est décédé, va-t-on avoir un récit aussi lucide sur la notion d'héritage ? J'avais déjà critiqué vertement Into The Wild mais en bouquin, le wilderness trimbale des aspects rances et réactionnaires jusqu'ici sous-estimés, maintenant ils sont applaudis par la critique et le public.