Le hasard a mis sur ma route, pour ton malheur, cher lecteur, cette autobiographie d’une vacuité sans nom dont je n’ai pu lire, effarée, que quelques pages. Car oui, je cherche parfois à comprendre pourquoi la musique est parfois si mal servie en France. Le hasard caustique a mis ce livre entre mes mains la semaine de la molle commémoration du 80ème anniversaire de l’appel du 18 juin, également l’année du 50 ème anniversaire de la disparition du général De Gaulle, et mes réflexions amères sont nées de cette coïncidence.
Tristesse d’une époque qui se choisit des dieux ressemblant plus à des fantoches désarticulés.
Le livre ne m’a pas du tout éclairée sur le personnage mais a fait remonter des souvenirs lors de la mort d’un chanteur qu’on a qualifié de « national ». Ce n’est pas cette disparition ni l’émotion de certains fans qui m’a posé problème, mais bien le courant d’idôlatrie et de délire moutonnié qui s’est emparé d’une partie des lecteurs de presse, pour ne pas dire de la population. En vrac, j’ai lu et entendu que ce chanteur était l’expression de la liberté et le symbole d’une génération voire d’un peuple, qu’il fallait ériger des statues à sa gloire, renommer des monuments à son nom, qu’il était un dieu vivant ( certaines personnes ont défilé dans la rue portant une affiche intitulée « Johnny est notre dieu » !). On se croyait revenu aux pires époques du culte de la personnalité où la moindre réserve exprimée devant le grand homme était passible de sanctions . En effet, pendant une semaine, j’ai été la seule voix exprimant mon étonnement à faire passer pour une idole un simple chanteur à la vie peu exemplaire et au style peu innovant . Bien entendu je me suis fait copieusement conspuer et ce n’est qu’après mon acharnement à maintenir mon discours que d’autres personnes trouvant aussi qu’il y avait de l’excès dans cette attitude ont osé suivre mon approche.
Alors ce n’est pas tellement la piètre valeur de l’objet du délire révélé par cette autobiographie qui pose problème même si on peut déplorer qu’il n’y a pas si longtemps c’était des figures intellectuelles majeures qui produisaient à leur disparition cette émotion ( je pense par exemple à l’hommage rendu à Hugo). Le problème est l’unanimité et l’excès de ce mouvement où on sentait bien le besoin d’adorer. D’adorer ensemble. De se retrouver dans un culte qui ramenait à des valeurs simples : l’amour comme valeur première se suffisant à elle-même , le soucis du bien et de l’autre, de l’humble, tout en se sentant appartenir à un groupe soudé par l’exception, voire le miraculeux, dans la connivence que donne une même approche de la vie et même des rites communs. Vous aurez reconnu là bien des critères qui définissent une religion…
Ce qui se manifeste là est bien une sorte de sentiment religieux et une tentative pour vivre concrètement une religion. Cela éclate brutalement et de façon irrépressible comme si la société qui en était privée prenait n’importe quel prétexte pour assouvir sa soif de célébration.
Pourquoi pas… Mais entre adorer un dieu créateur et transcendant et adorer un pantin qui n’est qu’un prétexte, il y a la différence qui se trouve entre une société saine et une société malade.
Pendant que j’observais ces manifestations malsaines l’air du Veau d’or de Méphistophélès dans le Faust de Gounod me trottait dans la tête :
On encense sa puissance
D’un bout du monde à l’autre bout!
Pour fêter l’infâme idole,
Rois et peuples confondus,
Au bruit sombre des écus
Dansent une ronde folle
Autour de son piédestal!
Et Satan conduit le bal!
Le veau d’or est vainqueur des Dieux!
Dans sa gloire dérisoire
Le monstre abject insulte aux cieux!
Il contemple, ô race étrange!
A ses pieds le genre humain
Se ruant, le fer en main,
Dans le sang et dans la fange
Où brille l’ardent métal!
Et Satan conduit le bal!”
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