"Seul ce livre d'amour sera réel."
Chouette, un nouveau livre-fantôme de Lutz Bassmann, le décédé du « Post-exotisme en 10 leçons, leçon 11 » ! Bassmann sait surprendre, nous ayant habitués à la veine brutale du post-exotisme : ici nous en sommes quittes pour une histoire d’amour… enfin presque.
Chaque saison, Jennifer Goranitzé, « reine du dortoir », traverse le monde pourri et sans espoir pour les partisans de l’égalitarisme, afin de retrouver la tombe symbolique de son compagnon Nathan Golshem sise sur une décharge, et invoquer ses mânes.
Ses mânes et d’autres : les chapitres alternant, entre les « danses » où l’on revient au niveau de l’énonciation de la danse invocatoire de Jennifer Goranitzé et les récits imaginés par celle-ci, centrés sur un personnage et une situation, pour « solidifier » le spectre de Nathan Golshem.
Nous parcourons ainsi les figures maintenant presque connues, reprises et exemplifiées par toutes les voix du post-exotisme : l’interrogatoire, l’assassinat des oppresseurs, l’emboîtement de cauchemar dans un cauchemar, les déchéances d’ « untermenschen », les camps de rééducation, etc. Autant de situations complexifiant, développant ce qui se veut un « univers » post-exotique.
Mais là n’est pas pour moi l’audace essentiel de ce livre, mais bien la relation de tendresse sourde et puissante entre Jennifer Goranitzé et Nathan Golshem. Déjà dans le précédent livre « Les aigles puent » Bassmann avait amorcé ce thème. Ici la relation amoureuse malgré les exterminations, la mort, et toutes les abjections imaginables, est un signe intense au sein des cyclones de la tyrannie des Maîtres.
Ce secret, cette situation de fantasmagorie pour conjurer l’aimé, m’a rappelé un entretexte improbable, celui de Genet déclarant dans son « Journal d’un voleur » : « Ce que j’ai écrit fut-il vrai ? faux ? Seul ce livre d’amour sera réel ». Et pas seulement.