Après une longue absence loin de ma bibliothèque , je me suis demandé quoi lire pour me remettre sur les rails. Murakami , je crois , n'est pas un mauvais exercice pour un lecteur un peu rouillé. "La course au mouton sauvage" est sans doute une des meilleures intros possibles à cette oeuvre, si vous ne l'avez pas encore rencontrée. Mais j'ai choisi ici de me re-plonger dans la suite du "mouton sauvage", un ouvrage qui se lit d'une traite ou presque, qui vous capte par sa narration presque nonchalante et vous garde par le mystère profond qui se cache dans ses lignes.
Le monde de Murakami est souvent prédiqué sur l'existence d'une dimension cachée, d'un monde parallèle sombre et inquiétant qui affleure notre réalité et dans lequel ses héros pénètrent sans le savoir ou dont ils devinent l'effrayante présence. Le héros de "Danse , danse, danse", entre ainsi par erreur dans cette dimension lorsque son ascenseur le laisse non pas à l'étage de son hôtel mais dans une obscurité angoissante et moisie. Il y a du David Lynch avant l'heure chez Murakami et son univers fantomatique n'est pas sans rappeler une certaine salle aux rideaux rouges. Ce que notre héros trouvera dans cette "interzone" est le point de départ d'une enquête dont la nonchalance le dispute à l'étrangeté.
Héros typique de Murakami, le narrateur est un pigiste trentenaire, célibataire, amateur de musique, de culture pop et de littérature, dont le caractère stoïque semble attirer comme un aimant les confidences de personnages eux-mêmes bien plus complexes, plus inquiétants ou plus fantasques. Ici , dans sa recherche d'une ex-girlfriend disparue, quète qui le mène de Sapporo à Tokyo, en passant par hawai, on apprendra les angoisses d'une ado aux talents médiumniques, les frasques d'une star de cinéma prisonnier de son métier, les souvenirs d'un poète vétéran du Viet-Nam, ou encore on s'interrogera sur les prophéties du singulier habitant de cette dimension noire qui connecte les réalités.
"Danse danse danse" pourrait passer pour un roman policier. Il y a des cadavres, des pistes à suivre, des flics qui se méfient, des connections qui se révèlent . Et difficile de ne pas penser au Marlowe de Chandler en suivant l’enquête de ce détective amateur imperturbable. Aucune violence directe, mais des morts violentes, des squelettes attablés, des visions paranormales viennent perturber un quotidien d'une surprenante banalité (ce sentiment de familiarité est une des forces de l'écriture de Murakami je trouve). Mais ce n'est pas un polar, à proprement parler, les aboutissants de cette intrigue se situant franchement en dehors de notre sens commun.
Si à l'instar d'un certain Kundera, Murakami peut agacer à force de s'auto-imiter, "Danse danse danse" est venu assez tôt dans son oeuvre pour garder, même en deuxième lecture, une fraîcheur réelle et éviter l'écueil de l'itération intempestive. Je vous recommande cette enquête au bord du réel, guys et guyzettes!