Danser les ombres par MarianneL
Après la disparition de sa sœur cadette, Lucine retourne à Port-au-Prince, ville quittée à regret cinq ans auparavant, lorsqu’elle avait mis sa vie entre parenthèses pour aider cette sœur irresponsable à élever ses enfants, Antonine dite Nine, "celle qui dépare la nuit en roulant des yeux fous et lance aux hommes dans les rues de Jacmel, des paroles obscènes, aguicheuses, s’offrant au regard avec des poses lascives".
En quittant Port-au-Prince, Lucine avait enterré ses études et son activité politique d’opposante au régime d’Aristide. Ce retour contraint dans le chaos de la capitale est comme une renaissance.
«Elle était là, elle, au milieu de tout cela, et elle sentait qu’elle retrouvait non seulement sa ville, puante, grouillante, frénétique, mais aussi sa propre existence. Et alors, surprise elle-même de pouvoir le faire, elle sourit.»
Accueillie comme locataire dans une ancienne maison close «chez Fessou», elle renoue avec l’idée d’un avenir en compagnie de ceux qui s’y retrouvent, amis unis par les luttes politiques, la camaraderie, les discussions à n’en plus finir et la joie de vivre malgré la misère et les ombres de l’Histoire.
«Chez Fessou, on pouvait boire, on pouvait jouir, on pouvait tout se dire et s’engueuler, il n’y avait qu’une seule règle : parler au moins un peu de politique.»
Cet espoir embryonnaire d’une vie enfin sereine va être balayé par le tremblement de terre de janvier 2010, cataclysme inhumain qui rouvre toutes les plaies.
«Là où la terre a faim, les poteaux électriques s’effondrent et les murs s’écroulent. Là où la terre a faim, les arbres sont déracinés, les voitures aplaties par mille objets carambolés. Là où la terre a faim, ce n’est que désastre et carnage. Le sol ouvre sa gueule d’appétit. Il n’y a pas de sang parce que tout est dissimulé par un grand nuage blanc qui monte lentement du sol.»
Autour d'une galerie de personnages sombres et lumineux, parfois manichéens et un peu trop attendus, «Danser les ombres» permet d’exposer une image d’Haïti «au bouche à bouche avec l’Histoire», les contrastes révoltants entre richesse et misère, la dignité malgré les blessures ouvertes de la pauvreté et les vieux démons nés des dictatures depuis "Papa Doc".