Une belle découverte que cet ouvrage de Bernard Costagliola sur l'amiral Darlan et notamment son passage aux affaires à Vichy entre 1941 et 1942 où il fut à la fois le dauphin et une sorte de super Premier ministre du Maréchal Pétain.
L'ouvrage est particulièrement incisif sur les biographies antérieures de Darlan et notamment celle de 1989 qui tendait à le présenter comme un collaborateur de raison, attentiste, pragmatique qui se serait au fond opposé à la collaboration idéologique à la Pierre Laval qui souhaiterait la victoire de l'Allemagne par conviction.
Que nenni ! Remettant l'intégralité de la documentation disponible en jeu, fouillée minutieusement et ne se laissant pas aveugler par quelques documents favorables à la thèse précédemment exposée mais contredite par un véritable tombereau de documents qui l'invalident, la biographie de Costagliola remet les pendules à l'heure.
Décrit comme anglophobe, opportuniste (on le surnomme l'amiral courbettes), carriériste et mégalomane, Darlan, bon technicien de marine mais très mauvais diplomate qui s'autopersuade de l'ineluctabilité d'une victoire de l'Allemagne en 1940 est au contraire un des collaborateurs les plus zélés qui furent. Désireux de poursuivre la politique engagée à Montoire avec le Reich qui risquait de patiner après le renvoi de Laval en décembre 1940, il s'echinera, au sein d'un gouvernement où il assume l'essentiel des responsabilités lui-même, à témoigner de sa volonté de collaborer avec Hitler et d'insérer la France dans une Europe allemande, y compris en prenant les armes contre l'Angleterre. L'échec de ces offres de services, malgré moults "gages de bonne volonté" parmi lesquels figurent au sommet l'utilisation des bases françaises en Syrie ou la création du Commissariat général aux questions juives ne devant en réalité qu'au manque d'intérêt des Allemands pour ces offres préférant empocher ces gages sans offrir de contreparties mais en exigeant toujours davantage d'une France considérée comme vaincue. Darlan n'a pas tenu de discours à la radio souhaitant la victoire de l'Allemagne il est vrai ; mais il ne fait aucun doute qu'elle lui paraissait l'issue du conflit la plus favorable à la France et sur laquelle il était prêt à tout miser, y compris en risquant une guerre ouverte avec le Royaume-Uni dont il souhaitait la défaite à tout prix.
Le Darlan de Costagliola est en fait un peu ce que la France de Vichy de Paxton fut à l'historiographie antérieure de Vichy: une profonde remise en cause de travaux trop cléments avec les figures de ce régime, minimisant leur rôle dans la collaboration ou la portée qu'ils souhaitaient y donner. Une œuvre qui mériterait sa place d'ouvrage de référence, si... Car il y a un si: la politique intérieure est trop sommairement brossée en dehors de ce qu'implique directement la collaboration diplomatique et militaire avec l'Allemagne nazie, ce qui crée une lacune importante dans l'ouvrage. Ce qui exclut, malgré un corpus documentaire très solide, une note maximale.