Alors que l’on pourrait s’attendre à une simple réécriture d’ Alice au Pays des Merveilles, Lewis Carroll parvient à se détacher de son œuvre initiale en faisant preuve d’un style radicalement différent. Il m’a semblé voir dans ma lecture des aventures d’Alice de l’autre côté du miroir, les prémices du « stream of consciousness». L’auteur met en scène une temporalité plurielle, parfois inversée, parfois disloquée avec des faits qui s’enchainent sans être prévisibles. Par son écriture, Lewis Caroll rend compte du merveilleux, de l’imprévisible, du soudain, de l’incompréhensible et du rêve.
Toujours dans le souci de créer une écriture du rêve, c’est sur le langage que va travailler l’auteur. « La question est de savoir si vous pouvez obliger les mots à vouloir dire des choses différentes. » dit Alice au Gros Coco. Ce personnage du Gros Coco peut être assimilé à l’auteur lui-même, maître du langage, de la poésie, capable de trouver une multitude de sens aux mots jusqu’au non-sens. Lewis Carroll apporte alors une réponse ferme à la question d’Alice : « Est-ce qu’il faut vraiment qu’un nom veuille dire quelque chose ? » : NON. Tout comme le rêve, l’œuvre peut être démunie de sens et sujette à de multiples interprétations. L’esthétique du langage domine la signification. Le texte a pour seule fonction d’exister en tant qu’œuvre d’art, dénuée de sens et faisant appel à notre imaginaire comme seule compréhension**. Le poème du Jabberwocky est l’accomplissement de cette écriture**.
Une autre lecture pourrait être faite en remettant l’œuvre dans son contexte historique. En effet, il pourrait s’agir d’une réflexion sur le pouvoir annoncée par l’un des fils rouges de l’œuvre l’ambition d’Alice dans la partie d’échec : « Ça me serait égal d’être un Pion, pourvu que je puisse prendre part au jeu… mais, naturellement, je préférerais être une Reine. ». Les chapitres précédant le réveil d’Alice peuvent aller également dans ce sens. Tout se chamboule sur cette fin, le changement d’atmosphère nous montre Alice sous un autre jour, mais pour en avoir le cœur net, il ne vous reste plus qu’à lire ce petit chef d’œuvre.