N’en doutons pas à l'écouter cogiter on découvre que l'insomniaque Cioran est un écorché sardonique.Sans illusion et avec pessimisme il contemple et commente l’astreinte de la vie, de la naissance même. Il n’a de cesse de conter les souffrances de sa pensée, de son moi profond, de ce parcours dans le tunnel sans queue ni tête. Cela le soulage-t-il ? Cela lui procure-t-il la possibilité de continuer ? « Si je me conformais à mes convictions les plus intimes, je cesserais de me manifester, de réagir de quelque manière que ce soit. Or je suis encore capable de sensations... » Personne ni lui-même ne peut répondre. Sans nul doute la recherche des mots sont un secours pour l’homme désemparé et lui permettent d’affronter comme nombre d’entre nous ce vide d’où nous venons et par là où nous dirigeons nos pas. Son angoisse, ses visions, son réalisme d’une crudité désarmante poussent vers l’abîme. Tellement de lucidité sur l’illusion qui nous entoure trouble et bouleverse et si l’on n’y est pas préparé ou si notre vie est vide la lecture peut être éprouvante.


Il faudra du temps, une concentration permanente et une envie de réflexion pour entrer dans cette pensée si dense et pourtant en l'étalant dans le temps "De l'inconvénient d'être né" si lit facilement. De surcroît, quelle surprise au détour des pages quand Cioran s’insinue dans notre esprit et livre en quelques phrases notre ressenti à sa lecture : « Je le lis pour la sensation de naufrage que me donne tout ce qu’il écrit. Au début, on comprend, puis on tourne en rond, ensuite on est pris dans un tourbillon fade, sans effroi, et on se dit qu’on va couler, et on coule effectivement. Ce n’est pourtant pas une véritable noyade — ce serait trop beau ! On remonte à la surface, on respire, on comprend de nouveau, on est surpris de voir qu’il a l’air de dire quelque chose et de comprendre ce qu’il dit, puis on tourne de nouveau en rond, et on coule derechef... Tout cela se veut profond et paraît tel. Mais aussitôt qu’on se ressaisit, on s’aperçoit que ce n’est qu’abscons, et que l’intervalle entre la profondeur vraie et la profondeur concertée est aussi importante qu’entre une révélation et une marotte. »


Il faut donc mériter Cioran tout comme le mérite de cette écriture est d’occulter ce qui n’est pas essentiel et de poser les questions qui valent la peine :
Rien ! Existe-t-il autre chose ? Vivons-nous dans le réel ou dans une illusion ? Pourquoi l’homme s’échine-t-il depuis qu’il a pris conscience de la mort à donner une définition de Dieu ? Comment se débarrasser de cette pensée qui corrompt notre plaisir de vivre ? Pourquoi naître puisque le sens est absent et que la compréhension apportée par la pensée est inutile ?...
Si on lit Cioran pour avoir des réponses on sera frustré car ce sont l'introspection et la réflexion qui sont mises en avant. En conséquence que l'on soit lecteur ou écrivain plonger en soi pour réfléchir devient un devoir et une réponse. Pour certains il y aura là un baume, une onction douce qui les soulagera, pour d’autres - peut être pour Cioran - un mal nécessaire, un mal qu’ils aimeraient extraire de leurs esprits pour enfin vivre pleinement.
Nonobstant ne nous abusons pas : tout est catharsis ! Chacun a sa méthode, chacun a ses passions, ses hobbys, ses activités pour tromper l’angoisse, pour tromper la mort, pour tromper l’occurrence de la naissance. Beaucoup n’en sont même pas conscients et d’autres vivent dans la vision de la vanité et de la vacuité de leurs actions jusqu’à n’y plus tenir, jusqu’à mourir. Pourtant le suicide bien que mis en exergue n’est pas prôné chez Cioran (rappelons qu'il DCDera à 84 ans) "Ce n’est pas la peine de se tuer puisqu’on se tue toujours trop tard” / « On ne redoute l’avenir que lorsqu’on n’est pas sûr de pouvoir se tuer au moment voulu ». Même si le propos est ambigu « Sans l’idée de suicide, je me serais tué depuis toujours » s’ôter la vie n’est pas une solution et pourtant cela sera peut être la solution. Choisir sa réponse, son moment et aussi ne pas choisir tout est là ! Mais aussi pourquoi ne pas vivre avec rage et furie à l’image de ces vers de Dylan Thomas « N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit / Rage, enrage contre la mort de la lumière » et quand viendra le point final - choisi ou pas - s’abandonner enfin à l’oubli définitif et à son absorption terrestre. « S’étendre dans un champ, humer la terre et se dire qu’elle est bien le terme et l’espoir de nos accablements, et qu’il serait vain de chercher quelque chose de mieux pour se reposer et se dissoudre. ».
Comme dans un caveau funéraire il fait très sombre et triste dans la pensée de Cioran qui pousse dans ses retranchements une philosophie du désespoir et regarde un homme errant en déshérence «La lucidité complète, c’est le néant ». Livré à lui-même le grain de poussière n’aspire qu’à l’enfouissement et l’oubli puisque la religion n’est d’aucun secours. « Il tombe sous le sens que Dieu était une solution, et qu’on n’en trouvera jamais une aussi satisfaisante. ». Toujours ce côté commode qu’ont les religions de s’arranger avec ce qu’elles ne comprennent pas ou ne peuvent expliquer que par des arguties et qui poussées dans leurs retranchements se réfugient dans le fanatisme. « Le fanatisme est la mort de la conversation. On ne bavarde pas avec un candidat au martyre. Que dire à quelqu’un qui refuse de pénétrer vos raisons et qui, du moment que l’on ne s’incline pas devant les siennes, aimerait mieux périr que céder ? Vivement des dilettantes et des sophistes qui, eux du moins, entrent dans toutes les raisons... ».
Entre apories « Plutôt dans un égout que sur un piédestal. » et aphorismes « J'ai tous les défauts des autres et cependant tout ce qu'ils font me paraît inconcevable. », vérités « Une seule chose importe : apprendre à être perdant. » et contre vérités « Ce n’est pas en érigeant, c’est en pulvérisant que nous pouvons deviner les satisfactions secrètes d’un dieu. », dérision « Que la Trappe soit née en France plutôt qu’en Italie ou en Espagne, ce n’est pas là un hasard. Les Espagnols et les Italiens parlent sans arrêt, c’est entendu, mais ils ne s’écoutent pas parler, alors que le Français savoure son éloquence, n’oublie jamais qu’il parle, en est on ne peut plus conscient. Lui seul pouvait considérer le silence comme une épreuve et une ascèse. » et auto dérision « Du temps que je partais en vélo pour des mois à travers la France, mon plus grand plaisir était de m’arrêter dans des cimetières de campagne, de m’allonger entre deux tombes, et de fumer ainsi des heures durant. J’y pense comme à l’époque la plus active de ma vie. » dérisoires Cioran dénonce la vilenie du monde, la petitesse humaine et fustige les religions. Comment ne pas voir en ce misanthrope un Lautréamont moderne quand Isidore Ducasse clame "Mais, je ne me plaindrai pas. J'ai reçu la vie comme une blessure, et j'ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C'est le châtiment que je lui inflige". Il parait si anxieux si féroce et même ironique jusqu’au malaise. Pourtant par cet emploi, cette vibration des mots qu’il choisit et qui s’entrechoquent, cet acte de penser, naît une petite lumière, flammèche bien faible et tremblante qui toutefois brillera, tant qu’elle le peut comme la vie exempte de pensée ne s’éteindra qu’à l’ultime seconde.



Pensées personnelles incomplètes et imparfaites guidées par cette lecture et cette citation dont j’ai renoncé à comprendre la chute aporique



« J’aime lire comme lit une concierge : m’identifier à l’auteur et au livre. Toute autre attitude me fait penser au dépeceur de cadavres. » :


Le Paradis est une vision infantile du néant.


L'espoir est pour les faibles.


Rien de mieux pour manipuler les gens que de leur donner de l'espoir.


Tant et tant qui ne réussissent pas à naître. Où sont-ils ?


Si tu n’as pas vécu trompé par un environnement hostile et contraignant c’est par faiblesse parce que tu as laissé ta pensée prendre le dessus.


Pourquoi vouloir combler le vide alors qu’il est si facile de le regarder ?


La pensée m’enchaine, la pensée me contraint, le savoir m’enferme.


L’homme court, l’homme croit s’échapper jusqu’au moment où il trébuche et tombe.


Le puits était si profond, le voyage si long qu’il ne savait dans quel sens il tombait ni même où était l’entrée, où était la sortie.


Affolé par le chaos l’homme attrape la maladie de Dieu.


Ne jamais prendre l'intuition à la légère. Elle te sortira d'embarras quand l'intelligence t'avait laissé tomber.


Sentir la puissance de l’étreinte sur son corps, la sentir sur son esprit mais jamais sur son âme.


Il est si commode de croire que l’on possède une âme. Cela atténue la peur et donne l’immortalité.


Le livre est un trou qui mène à des galeries. Les secrets sont dans la profondeur et les galeries ne mènent à rien. En somme Ecrire un livre revient à creuser un trou. Le sien et celui des lecteurs.


Les cheveux hérissés, la face grimaçante, les membres tors, voilà le vrai visage de l’homme.


Bouger, sauter, taper, s’agiter, secouer le Monde et puis s’asseoir.


Malade de lui-même, crevant de peur devant le mystère il s’avançait dans les images.


La représentation de la faconde du temps est incohérente et ne s’adresse à personne.


Elle vit un oiseau, puisa dans son esprit et mit son cœur à l’unisson de l’animal.
Elle vit une charogne d’oiseau puisa dans son esprit et mis son cœur à l’unisson de l’animal.


Le malheur de ses sœurs l’avait poussé à lutter, se battre. Elles s’appelaient Misère, Torture et Mort. Il était Espoir. Toujours elles l’ennuyaient, toujours elles le poussaient et toujours il marchait en équilibre sur des planches instables. Jamais il ne regardait vers le bas et seul le Soleil lui permettait d’avancer vers la Nuit.


Cronos mangeait. D’abord les pieds ensuite les mains, bien sur le sexe, racler les os et finir par le cerveau. Le père est un ogre s’il n’y prend garde il étouffe puis mange ses enfants.


Le suc du père, l’œuf de la mère sont des poisons, une union maléfique. Le ventre de la mère est un hospice avant la prison.


Lassé de voir son reflet dans la glace, il la brisa. Derrière il vit son visage statufié qui hurlait.


Quand tu as envie de te sentir bien il suffit de penser à des problèmes auxquels tu as échappé.


Comment ne pas voir dans les gesticulations mécaniques ou comiques des vivants – c’est selon son humeur - la fatuité et l’oubli de la mort.


Se vider, s’épuiser pour enfin être en paix.


Grisé de mouvements, il s’arrêta et s’observa intensément. L’instant était fugace. Constater son impuissance pour que l’illusion augmente le bonheur. Il faut alors continuer coûte que coûte et se saouler encore.


En vieillissant la délusion asséritive revient des profondeurs de l’enfance. Tout est possible ou l’a été, tout a été fait.


Je viens du vide, je retourne au vide. Toute autre considération est vaine ou alors Vivre vite ! Vite, vivre ! Vide vite ! Vite Vide !


Quand viendra le temps béni - certainement pas - où l’on pourra aller s’acheter en pharmacie des doses létales de tranquillisants plutôt qu’aller traîner sa misère des années durant dans quelque mouroir nauséabond ?


Quand Cioran dit « Produire est facile ; ce qui est difficile, c’est dédaigner de faire usage de ses dons. » je me dis que j’ai peut être réussi quelque chose.


L’action seule apaise. Tu tergiverses, tu hésites, tu vas, tu viens et ainsi sans fin tu cherches ton chemin. Le malheur est ton guide alors que l’acteur réussit et jouit d’une joie courte mais ineffable ou rate et se lamente. En tout cas il aura des réponses.


Dans l’inconscience, l’insouciance de la jeunesse je me suis bercé. J’ai entretenu cet état d’innocence le plus longtemps possible fuyant la bêtise et la méchanceté. Je suis un tricheur ! Enfin bâtissant ma maison pour m’y reclure je me laissai envahir par la pensée, par la merditude finale.


Vis, sinon tu n’auras rien à raconter, rien pour te souvenir, rien à regretter. Quelle importance puisque nombre de ceux qui n’ont pas vécu n’en ont pas ou ne veulent pas en avoir conscience. Quelle importance puisque seul compte l’instant présent. Quel importance puisque rien n'a d'importance.


D’une certaine façon les gens pétris d’évidence sont heureux.


Juger est une nécessité sociétale étrangère à toute communauté vierge de pensée.


Un bon stoïque s’accommode de toutes les vicissitudes hormis celles qui germent en lui-même. Toutefois il est capable d'oublier mais par cynisme de se souvenir qu’il s’y est lui-même contraint.


Trouver l’équilibre entre l’envie et l’acceptation permet de traverser les déserts les plus stériles.


Je ne peux comprendre cette amie qui se plait dans la foule. C’est un peu comme si cela lui procurait de la sécurité, du bien être.


Se convertir, s’astreindre à des codes sociaux non pour son salut ou obtenir des réponses – c’est inutile - mais pour se sentir accepté faisant parti d’une communauté à tous les points stériles.


Le miroir aux alouettes des lieux saints, des temples attire le fat comme la lumière les insectes.


Pendant la nuit, quand nous dormons nous n’existons plus toutes les douleurs, tous les tourments s’effacent. Pourtant là bas, si loin un petit lutin sans remords actionne la cloche qui té réveille et te renvoie à ton infirmité croissante.


Ma religion : l’apostasie !


Pourquoi cet entêtement à vouloir laisser une trace ? Pourquoi les cimetières ?


Il n’y a pas de pardon. Il faut châtier pour avoir du crédit sinon le retour de bâton sera terrible.


Les fanatiques refusent de se tromper jusqu’à en mourir. Leur régression renvoie tout simplement à la loi du plus fort. Il est inutile d’essayer de les convaincre. Il faut donc les contrôler par la force jusqu’à en mourir.

SombreLune
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le 18 août 2020

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