De sang-froid
8.1
De sang-froid

livre de Truman Capote (1966)

La poussière.
Petit manteau volage, elle recouvre les routes, les maisons, les voitures de tout le Kansas, à peine secouée par le vent qui souffle. Elle surplombe l'immobilité de sa chape légère, grisâtre. Les meubles, le sol, les livres, et dans une ferme paisible, quatre corps.
Quatre corps inanimés, maculés de rouge, éparpillés par l'impact d'un fusil de chasse apposé sur la tempe. Le vieux Clutter, sa femme, ses deux enfants, noyés dans une flaque vermeille, attendent patiemment qu'un malheureux passant par-là découvre l'ampleur de l'horreur.


Pendant que la police et le village s'émeuvent du crime, de sa violence, de son imprévisibilité, à l'autre bout du Kansas, des nuages de poussière s'élèvent, troublés dans leur répit par le rugissement du moteur d'un cabriolet volé, portant deux âmes en fuite.
Dick Hicock et Perry Smith traversent les Etats-Unis, fuite en avant de leur crime intraçable vers un avenir plus radieux. Loin derrière eux, une poignée d'irréductibles s'acharne à trouver leur trace au sein de toute cette poussière.


Dans le dédale des routes américaines, impactées par l'horreur, se met en place le dédale de pensées d'une population sous le choc. La parole se libère, implacable, dévoilant des morceaux d'une humanité authentique, complexe.
Le manichéisme fuit devant les mots, mettant à jour la réalité d'un monde éminemment subjectif, nébuleux, imprécis. Dans tous les coins du Kansas, on parle, au café, à la Poste, devant les journaux, chez les coupables et chez leurs chasseurs, partout, on disperse la poussière pour révéler des morceaux d'une vérité trop longtemps enfouie.


La course-poursuite s'achève au coeur de ce constat implacable, presque clinique. Smith et Hicock, loin d'être de vulgaires salauds, trimballent dans leurs sacoches une histoire, un monde d'une lourdeur insupportable. Meurtriers de sang-froid, ils sont avant tout des hommes : complexes, incertains, lâches.


Procès et emprisonnement nouent avec les bas-fonds de l'Amérique. Pleine de violence, de poussière, d'isolement, elle détruit les familles sans hésiter, armée d'une machine juridique implacable. Seul l'individu surnage face à cet ogre administratif, celui capable d'un brin de compassion, d'ouverture, celui qui tend la main à des coupables transformés en victimes.
Ni juste ni injuste, ni bien ni mal, aucune morale ne se détache de ces évènements. Simplement la conviction qu'il faut creuser pour trouver des vérités.


Hommes mais coupables, leur procès ne sera qu'une longue mise à mort, retardée encore et toujours, mais certaine. Au bout de leur chemin, une corde qui se balance sur un bout de bois. Question de temps.
Abattus de sang-froid, d'un meurtre clinique, médicalisé, leurs esprits, complexes, leurs motivations, leurs histoires disparaîtront avec eux. Il faudra les suivre pour leur demander.
A eux qui ne croyaient ni au ciel, ni à l'enfer.
Rien qu'à la poussière.

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le 30 juin 2017

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