J'aime beaucoup tous les problèmes de commande. Dans cette collection, on s'attend à un beau monstre. Au contraire, toute l'attention porte sur le chasseur. L'enquête, la chasse, est ainsi assez aisée. Tout l'intérêt est dans la confrontation entre le chasseur et un Londres assez cyberpunk: Senoufo est un marin (armé d'un harpon) pris par le mal de terre et tout à fait réfractaire au monde urbain. Les différents épisodes allient la tradition française du candide (Persan/Ingénu, etc.) et celle plus anglaise du voyageur de retour; l'ensemble donne des surprises en pointillés, puisque le héros paraît plus fragile que "hardboiled".
Le fond de l'affaire est une relecture de mythes. Dufour fait un grand pot-au-feu avec plusieurs mythes liés par leurs sonorités:
Morphée/Orphée/Protée, etc. Dans le genre, c'est très réussi, mais le "monstre", ou disons l'adversaire, est logiquement évanescent. Toutefois, il y a matière à une réflexion sur la place du désir dans l'existence qui dépasse la simple référence freudienne qu'on trouve vers la fin.
La caractéristique principale de la narration (style atmosphérique et souvent elliptique, comme il se doit) est le décalage permanent avec l'enquête: les évidences sont absentes (prises en charge par le lecteur, donc) et remplacées par les pensées de Senoufo qui sont souvent ambigues. On est obligé de réfléchir pour suivre et l'action et la pensée du héros ; disons que Dufour prend acte que le lecteur est habitué à voir des signes partout, et du coup la lecture est régulièrement paranoïaque, comme nombre de commentaires de Senoufo.
Conclusion: inversion de commande + relecture de mythe + texte à trous paranoïaque = récit postmodernisant, mais sans notes de bas de page.
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