Des éclairs par BibliOrnitho
Grégor est une tête : très intelligent et l’esprit particulièrement imaginatif. Par contre, il a une sérieuse tendance à mépriser ceux qui ne comprennent pas aussi vite que lui – ce qui fait tout de même pas mal de monde.
Passionné de physique, il bosse d’arrachepied dans le domaine de l’électricité. Il quitte sa Serbie natale pour entrer au service de Thomas Edison dans sa bonne ville de New York. Edison rencontre des problèmes inimaginables avec son réseau de courant continu. Ca tombe sans arrêt en panne, et il ne peut le distribuer à plus de trois kilomètres. Alors s’il faut installer des relais toutes les trois bornes, on n’est pas sorti de l’auberge pour électrifier tous les USA ! En terme choisis, Grégor fait comprendre à Edison que le courant alternatif serait bien mieux. Et Edison de se taper les cuisses : « t’es con ou quoi ? L’alternatif, ça ne marche pas ! »
Soit ! Mais quelques temps plus tard, Edison se dit que l’expérience en vaut peut-être la chandelle. Si cet employé génial considère l’alternatif comme une alternative, alors peut-être que l’idée n’est finalement pas si saugrenue. « Ok gamin, lui dit-il : cinquante mille dollars pour toi si tu parviens à me présenter un truc qui tienne la route ».
Grégor ne se le fait pas dire deux fois et se jette dans le travail. Grégor est un bourreau de travail. Il ne dort jamais, ne baise pas non plus. Sa vie sociale est un désert (il faut dire qu’il n’a rien de sympathique) : ça lui laisse du temps pour bosser. Six mois plus tard, le générateur alternatif est au point et les résultats obtenus surpassent de beaucoup ceux connus avec le courant continu. Mais quand Grégor réclame sa prime, Edison est plié en quatre « Comment, tu ne comprends pas non plus l’humour américain ? ».
Grégor, vexé – et à juste titre –, claque la porte et passe à la concurrence. Rapidement, il devient le scientifique le plus en vogue, le plus célèbre. Il faut dire qu’il affectionne l’adulation que lui porte le public devant lequel il se produit : il se met fréquemment en scène au milieu d’appareils électriques qu’il fait fonctionner pour assurer des tours de plus en plus spectaculaires. Le public est ravi. Mais Edison n’a pas dit son dernier mot. Pour continuer à gagner des tunes avec son courant continu, il lui faut coûte que coûte discréditer l’alternatif en insistant lourdement sur son aspect dangereux : « le courant alternatif vous tuera » pourrait d’ailleurs être son slogan. Et pour prouver ses dires, il décide d’utiliser la condamnation à mort de William Kemmler en 1884 pour convaincre les autorités d’électrocuter le détenu : on venait d’inventer la chaise électrique.
Si Grégor est un scientifique génial, il est par contre un gestionnaire catastrophique. Tout à ses expériences, il a la désagréable habitude de bâcler ses brevets, de lancer ses meilleurs idées en l’air. Il sera ainsi spolié de ses découvertes : il est à l’origine de l’électrification du territoire américain, de la radio, du radar, des rayons X, de la robotisation… mais d’autres reprendront ses idées à leur compte, se chargeront de les développer et de les rentabiliser.
Avec son écriture si agréable, sa concision, son style direct et alerte, son goût prononcé pour les euphémismes et son humour pince-sans-rire, Echenoz nous brosse un personnage très largement inspiré du célèbre ingénieur Nikola Tesla. Un livre des plus agréables que j’ai lu avec un beaucoup plaisir.
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