Ces derniers temps, j'avais l'impression de devenir un peu mou du bulbe dans mes choix de polars. Non pas que j'en lise des mauvais, non ; mais plutôt des raffinés, des soft, des psychologiques, des délicats, avec le minimum de meurtres et encore moins d'hémoglobine et de violence dedans. Rien d'alarmant, me direz-vous, et vous aurez raison : en vieillissant, et en affinant mes goûts et mon bagage de lecteur, j'ai tendance à ne plus supporter les tueurs en série tous plus atroces les uns que les autres, les profilers, les superflics et/ou héros ténébreux avec un passif tellement épouvantable qu'on se demande comment ils tiennent encore en l'air.

Plus précisément, je m'interroge : serais-je encore capable d'apprécier un livre aussi choquant que "Versus" d'Antoine Chainas, qui m'avait terrassé à sa sortie en dépit des extrêmes inédits qu'il atteint dans l'horreur ? Je n'en sais rien (le mieux serait peut-être de le relire, mais ce n'est pas le sujet).
Mais ce que je sais depuis hier, c'est qu'un polar brutal, très noir, très violent, peut encore me séduire, à condition d'être fait avec intelligence et sensibilité ; pas pour le plaisir malsain de la violence en soi, mais pour en dire quelque chose, pour en tirer un regard sur notre humanité.

Pour son premier roman, Sandrine Collette frappe donc très fort. D'entrée de jeu, elle n'épargne pas son lecteur : Théo Béranger, son "héros", est un type déplaisant, qui sort de prison entouré d'une aura de violence inquiétante, qu'il ne tarde pas à mettre en pratique d'une manière aussi absurde qu'inutile.
Et pourtant.
On finit par s'attacher à Théo. D'abord parce qu'il n'est pas manichéen, parce que sa violence même a des racines, qui ne l'excusent pas mais l'expliquent. Au fil du livre, Sandrine Collette plonge au cœur même de Théo, dévoilant des scènes, racontant la dureté du père mais aussi celle du grand frère, Max, si sûr de lui, si méprisant. Le décor du puzzle se met en place. On comprend, peu à peu.

Ensuite on s'attache à lui parce qu'il se retrouve confronté à une violence encore plus effroyable. Là où d'autres avant elle sont tombés dans le piège du trop explicatif, Sandrine Collette se contente de raconter la folie quotidienne de Basile et Joshua, les deux vieillards qui séquestrent Théo et le réduisent en esclavage, le traitant - littéralement - comme un chien. Pourquoi font-ils ça ? On n'en sait rien, on n'a pas besoin de le savoir et ça, l'auteur l'a très bien compris.
C'est le véritable tour de force de "Des nœuds d'acier". On éprouve de l'empathie pour Théo, personnage pourtant antipathique de prime abord, parce qu'on partage sa déchéance sans plus la comprendre que lui. Sandrine Collette laisse le lecteur aussi impuissant face à la folie que ne l'est Théo.

Pour qu'une telle histoire fonctionne, il faut aussi une plume et du style. La romancière est largement au niveau. Constamment sur le fil, elle se montre économe, choisit ses mots avec soin, accorde une place intelligente aux descriptions des paysages et des décors (la maison des vieux bien sûr, mais aussi son environnement, aussi net que si on y avait déjà mis les pieds).
Elle maîtrise aussi l'art délicat de l'ellipse, passant sous silence les scènes les plus sordides, parce qu'il est inutile de dire ce que l'imagination suffit à concevoir à partir du peu qui est exprimé auparavant. Une option gagnante, alors que trop d'auteurs choisissent plutôt la surenchère, parce que le voyeurisme est vendeur, ou pour le simple frisson du glauque à bon marché.

"Des noeuds d'acier" est indéniablement la première grosse claque polar de 2013. Pas difficile puisque l'année commence, certes, mais ce roman devrait marquer durablement les esprits et rester dans les incontournables du millésime. Ce ne serait que justice pour une œuvre aussi aboutie, jusqu'à une fin très réussie, à la fois belle et cruelle.
Quoi qu'il en soit, les éditions Denoël relancent d'une manière remarquable leur collection "Sueurs froides", en permettant à Sandrine Collette de se faire un nom. Coup double gagnant !
darthurc
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le 20 janv. 2013

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darthurc

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