Je garde de mes années de fac d'histoire le souvenir émerveillé d'un temps où l'on m'a inculqué le réflexe de lutter à priori contre les idées reçues dans tous les domaines, pour les confronter autant que possible aux éléments factuels en notre possession. La base, au fond, d'une démarche scientifique plaquée à une science forcément terriblement humaine.
C'est ainsi que je jubilais quand, jeune étudiant, j'apprenais par exemple que Charlemagne -personnage en tout point passionnant- ne parlait pas français, n'avait jamais inventé l'école, et arborait d'autant moins la barbe fleurie que le seul texte évoquant le sujet le décrivait comme imberbe.
C'est aussi à cette époque que j'ai appris qu'il avait fallu attendre l'année 842 et le serment de Strasbourg pour voir le premier texte officiel en langue romane et vulgaire (ancêtre de notre français) et le traité de Verdun l'année suivante pour deviner les premières traces d'un territoire qui allait s'appeler la France. Toute considération antérieure à ces deux dates pouvant donc être considérée comme potentiellement à ranger sur l'étagère des lubies nationalistes inconséquentes.
A ce travail fondamental d'un retour aux sources (au sens premier) auquel ont contribué quelques historiens essentiels comme Georges Duby, venait naturellement se plaquer celui de l'historiographie, qui consistait à comprendre précisément pourquoi et comment on avait pu raconter de telles sornettes à des générations entières d'écoliers, nous permettant du même coup de démonter la constitution d'un fameux grand roman national qui n'a cessé d'évoluer, au rythme des différents régimes politiques de ces deux derniers siècles.
C'est ce travail de déconstruction qui a tant révulsé une grande partie de nos concitoyens, parmi lesquels, bien entendu, les tenants de la droite la plus figée et la plus rance. On peut s'en étonner aujourd'hui, mais il faut le constater: l'indignation est tenace et le combat d'arrière-garde ne sera sans doute jamais fini, puisque les adorateurs des fictions nationalistes ou religieuses (d'ailleurs souvent liées) se succèdent au même rythme que les armées de morts-vivants d'un film de Romero, phénomène d'autant plus vigoureux, en ce début de 21ème siècle, que des notions comme la rationalité ou la raison ne sont plus tellement à la mode.
Les défenseurs de la raison ne sont plus, en tout cas, les personnages les plus audibles (on se fout aujourd'hui des faits, on réclame des opinions). Au contraire -on y arrive- d'un Zemmour, héraut tonitruant d'une époque ou l'obscurantisme et le détournement idéologique sont rois. On pourra très naturellement s'étonner que je publie ici un texte sur un livre dont je n'ai pas lu la moindre ligne, tournant le dos à la démarche rigoureuse que je décrivais plus haut. Je n'aurai comme seul argument pour me justifier que celui que je n'ai pas besoin de lire les élucubrations -si potentiellement bien écrites qu'elles puissent être- d'un illuminé qui me raconte en 500 pages que la terre est plate pour réfuter de A à Z ses constructions idéologiques.
Le point de départ du livre, son titre, son bandeau, son résumé, tout est biaisé, balisé et recuit, et constitue l'énième chapitre d'un combat aussi vieux que l'histoire, entre les adorateurs de fables édifiantes et ceux qui essaient de travailler avec une méthode scientifique, propres à recevoir critiques et contre-argumentations étayés.
Il ne s'agit donc ici que d'un coup de gueule un peu déprimé sur un phénomène récurrent et un brin écœurant.
A cette fatigue de l'inanité d'un combat désormais voué à devenir éternel (contrairement aux origines de la France) entre une idéologie rancunière et irrationnelle et un travail sérieux et salutaire, vient s'ajouter pour moi la grande désolation de voir cette marée sale (nous voilà !) déborder sur le site et recueillir l'approbation paresseuse de suiveurs (pour le coup peu regardants) d'idiots instruits qui découvrent l'eau chaude en même temps que la baignoire, et joignent leurs forces futiles et aveugles à celles de l'obscurantisme dangereux de notre temps.
Parmi les nombreux maux ou considérations un peu rapides dont on affuble traditionnellement l'histoire, s'il est naturellement ridicule de prétendre qu'elle se venge, on peut par contre reconnaitre avec lassitude que le concept d'éternel recommencement lui colle durablement et funestement aux basques.