Le vaisseau spatial Astron symbolise un rêve, une vision utopique d'une Humanité bardée de défauts et constamment sur la corde raide. Sa mission est de trouver de nouvelles formes de vie intelligentes afin de mettre fin à la solitude de l'Homme et d’ouvrir la voie à un avenir plus optimiste et chargé d'espoir.
Cela fait plus de 2000 ans que l'Astron silionne les étoiles à la recherche de la moindre petite parcelle de vie. Après avoir traversé des milliers de systèmes, bravé des centaines de dangers et sondé les plus noires profondeurs de l'espace, le Capitaine du vaisseau, toujours à la barre depuis le lancement grâce à un mystérieux pouvoir, décide de mettre le cap sur une zone prometteuse et inexplorée de la galaxie.
Pour atteindre ce coin reculé, il va falloir traverser « la Nuit », un gouffre béant de plusieurs années-lumières où les étoiles se font rares et où leurs lumières font place à une obscurité écrasante. Mais après 2000 ans de voyage, l'Astron est à bout de souffle : sa coque est usée, ses équipements inopérants et son équipage, fatigué de cette quête illusoire et d'un Capitaine dominé par un acharnement qui confine à la folie.
Conscients que cette traversée signifierait la fin de leurs brèves existences, la nouvelle génération de l’équipage se prépare, en secret, à mettre fin au règne tyrannique du Capitaine.
L'histoire est racontée par le jeune Moineau, un membre de l’équipe d'exploration qui, suite à un accident sur la planète Sethi IV, souffre d'une profonde amnésie.
En même temps que le lecteur, Il va partir à la découverte de ce vaisseau détérioré par les ravages du temps ainsi que sa société développée en vase clos et les tensions qui y règnent.
J'ai longtemps hésité avant de me lancer dans la lecture de Destination Ténèbres. Les thèmes du voyage spatial et du vaisseau-monde me plaisaient et la couverture conjuguée avec le titre français du livre me faisait très souvent de l’œil. Mais mon ardeur avait toujours été tempérée par l'aspect « jeune héros amnésique » de l'histoire.
L'amnésie est un procédé habile que je trouve trop souvent employé de façon maladroite pour justifier des rebondissements peu crédibles...sauf que ce n'est pas le cas dans Destination Ténèbres.
Oui, l'amnésie du héros permet de multiplier les rebondissements mais sa présence est complètement ancrée dans l'univers du livre et contribue largement à la création d'une ambiance de huit-clos des plus prenantes.
Le livre mélange habilement thriller et science-fiction pour nous offrir une atmosphère des plus enivrantes. Perdu dans l'immensité de l'espace, il règne dans les coursives rouillées et flétries de l'Astron une ambiance délétère des plus palpables.
L'auteur explore le vaste sujet des interactions humaines : l'amour, l'amitié, la haine, comment les relations et les pensées des différents humains doivent-elles être gérées dans un espace aussi étriqué et cafardeux qu’un vaisseau spatial vétuste, seul au milieu du néant ?
Fatalement les mœurs changent, l'humain évolue mentalement et la société maquille ce qu'il y a de plus immonde en illusion holographique.
La galerie des personnages représente toute sorte de tendances et de caractères. Les membres de l’équipage sont différents les uns des autres mais tous font partie intégrante de cet antique Navire qui les consume peu à peu pour continuer sans relâche son éternelle mission.
L'Astron est le personnage principal du roman, il est un univers à lui tout seul, un microcosme, un village spatial de 300 âmes confronté à la dure réalité de l'univers : la solitude.
Depuis des générations, son équipage s'affaire à trouver de la vie dans la galaxie mais en vain. Il n'y a pas d'hommes verts, pas de calamars, pas de homards bipèdes... pas même l'ombre d'une misérable bactérie. Pourtant, le Capitaine croit toujours en cette mission, il reste convaincu du bien-fondée de sa quête et refuse d'admettre l’échec au nom des personnes qui se sont sacrifiées pour ce voyage.
Le livre parle donc de la confrontation entre le paradoxe de Fermi* et l'équation de Drake* mais également de la croyance et plus particulièrement de la foi et de l'espoir.
Devant l'évidence même, pourquoi un homme continue t-il de nier les faits pour poursuivre sa mission ?
La grande qualité du livre est sa capacité à nous faire questionner sur notre place dans l'univers : sommes-nous seuls à travers l'immensité de l'espace ? Ou partageons nous ce monde avec d'autres espèces ? L'existence de la vie extraterrestre est-elle scientifiquement plausible ou s'agit-il juste d'une histoire de conviction et de croyance ?
Destination ténèbres est donc plus qu'une simple histoire de space-opera et d'aventure.
Loin de la rigueur scientifique d'un livre de Kim Stanley Robinson ou d'un Stephen Baxter, Frank M. Robinson nous offre un thriller des plus haletants se déroulant dans un cadre spatial unique qui multiplie avec brio les questionnements sur l'Homme, la vie et tout le reste.
Loin d’être parfait (l’apesanteur dans le vaisseau, des concepts de SF démodés), Destination ténèbres mérite tout de même de figurer parmi les plus grands classiques de la Science-fiction.
Intelligent, pertinent et accrocheur, Destination Ténèbres est une incroyable odyssée qui ne peut laisser indemne les amoureux du voyage spatial et de sa grandeur poétique.
Plus qu’un simple coup de cœur, une véritable claque émotionnelle, passionnante de bout en bout !!
*Paradoxe de Fermi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Fermi
*L'équation de Drake : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quation_de_Drake