Deux hommes de bien est sans l'ombre d'un doute l'un des plus beaux thèmes jamais traités par Arturo Pérez-Reverte, dans une oeuvre pourtant féconde. A partir de faits réels et enflammé par l'imagination et la maîtrise narrative du roi Arturo, quelle belle histoire en effet que ce voyage à Paris de deux membres de l'Académie royale d'Espagne, missionnés pour ramener au pays la version originale en 28 tomes de la déjà célèbre et sulfureuse Encyclopédie de Diderot et D'Alembert, interdite en Espagne. Un périple que l'on pressent mouvementé et pimenté d'autant que deux de leurs collègues ont décidé de tout faire en sorte pour que l'aventure échoue. Le livre, à tous les échelons du récit, s'appuie sur des dualités : entre ses deux héros, dissemblables physiquement et moralement (clin d'oeil à Don Quichotte), entre les conservateurs et les esprits éclairés, entre le catholicisme et l'athéisme, entre Madrid et Paris, etc. Cela vaut même pour les deux personnages opposés à la mission, aux convictions et à l'éthique très différentes. Cette chasse à l'Encyclopédie est l'occasion pour Pérez-Reverte de dresser un tableau de Paris, une décennie avant la Révolution, d'une érudition impressionnante avec une puissance d'évocation qui n'étonne plus de la part du maître espagnol. Deux hommes de bien est aussi précis dans sa topographie et sa toponymie de la capitale française qu'un roman de Modiano, ce qui n'est pas peu dire. Toutefois, il faut sans doute être passionné par l'histoire de cette époque, tant en Espagne qu'en France, pour goûter totalement les longs dialogues que s'échangent les divers protagonistes et qui pour les amoureux d'action peuvent sembler un brin fastidieux. La mise en scène du roman, à savoir l'intervention assez fréquente du narrateur, qui explique les secrets de fabrication du livre avec une multitude de références à des ouvrages rares et uniquement trouvables chez les bouquinistes, peut également constituer un frein à la lecture mais on a aussi le droit de la considérer autrement, comme une sorte de making of, qui certes aurait eu sa place dans une postface, mais qui finalement sert de pause et de teasing pour ce qui suit. Deux hommes de bien tient donc pour la plus grande parties les promesses d'un "synopsis" alléchant au gré d'un roman tortueux comme une venelle du Paris du XVIIIe siècle. C'est aussi, et cela va sans dire, un hommage vibrant à la culture française, à l'esprit des Lumières et plus largement à tous ceux, dans le passé, illustres ou inconnus, qui ont combattu l'obscurantisme et les censures de tous poils au profit de la liberté de penser et de la tolérance.