C'est l'histoire d'un mourant sans foi mais doté de tout l'appareil de lieux communs et de sophismes de l'anticlérical ou de l'athée lambda confronté à un prêtre ignorant.



Le moribond — Voilà un grand homme (le Créateur) assurément. Eh bien,
dis-moi pourquoi cet homme-là qui est si puissant a pourtant fait
selon toi une nature si corrompue.



Le prêtre — Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas
laissé leur libre arbitre, et quel mérite eussent-ils à en jouir s’il
n’y eût sur la terre la possibilité de faire le bien et celle d’éviter
le mal ?



Or voilà, selon la théologie catholique, que devrait maîtriser ce prêtre, Dieu n'a pas créé un univers corrompu, ni n'a créé le mal. Dieu a créé un univers parfait avec un homme libre. La corruption de la nature est justement - de façon indirecte - l'oeuvre de l'homme, le résultat de sa prévarication, du mauvais usage fait de sa liberté.
Suit dans le dialogue l'incompréhension du moribond, donc de Sade, de la liberté octroyée à l'homme : Pourquoi faire l'homme libre s'il est prévisible qu'il fasse un mauvais usage de sa liberté ?
Le prêtre borne sa réponse sur le terrain du mérite : l'homme aurait eu le mérite de résister à la tentation (qui ne peut venir de Dieu, contrairement à ce qu'avance le moribond-Sade), Dieu n'aurait donc eu en tête que le souci du mérite de l'homme en le créant libre.
Autre lacune, et pas la moindre, dans la réponse du prêtre : ce que Dieu avait en tête en créant l'homme libre, ou plutôt ce qu'Il avait au cœur, c'était surtout l'Amour. C'est par amour que Dieu a créé l'homme libre, car comment peut-on être aimé si ce n'est librement ? Comment peut-on se satisfaire d'être aimé par quelqu'un qui est contraint de le faire ?


Ces deux lacunes théologiques présentes - peut-être de façon volontaire - dans l'écrit de Sade, tout le reste ne tient plus, le dialogue entre les deux hommes partant sur des bases viciées et fausses, Sade ne fera ensuite qu'étaler ses poncifs rationalistes devant un prêtre qu'il a voulu ignare - ou étant ignare lui-même sur la question religieuse - et qui ne trouvera à objecter à son moribond que des cris plaintifs et des exclamations indignées.
Sade admet, par exemple, qu'il ne croit pas parce qu'il ne comprend pas.
Il ne comprend pas pourquoi Dieu aurait créé l'homme libre et pourquoi la nature serait corrompue. Comme il ne peut ou ne veut faire l'effort de comprendre et de se renseigner, il choisit de se vautrer avec complaisance dans son humanité terre à terre.
Sade réclame la preuve de l'existence de Dieu, objection simpliste à laquelle il fut aisé au prêtre de répondre que détenir cette preuve impliquerait non de croire mais de savoir.
Là-dessus aussi s'entassent des approximations : il déclare croire au soleil parce qu'il le voit. Or il ne croit pas au soleil, il sait son existence.
Le moribond-Sade (qui est maintenant bien mort), avoue dans ce dialogue une chose capitale : la religion le gêne dans l'exercice de ses passions. Des philosophes grecs qui n'avaient pas eu la chance de connaître la Révélation autant que Sade surent néanmoins comprendre que l'homme n'était pas forcément tenu d'obéir à celles-ci, mais baste. C'est sur cette base, à l'instar de la plupart des athées que Sade rejette la religion, qu'il échafaude son raisonnement et qu'il oriente son intelligence.
Comme l'écrivait Daudet, lorsque quelqu'un se fait avec véhémence le détracteur de la religion, il faut se demander quel est son vice.
Le dialogue se conclut de façon cocasse par la corruption du prêtre, vaincu par la logique imparable de Sade-moribond (autant que par son ignorance) pour n'avoir pas su expliquer ce qu'était la nature corrompue.
Il faut croire que des rudiments de catéchisme lui manquaient.

YvesChoisy
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le 8 avr. 2016

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