J'ai rencontré Jean Tulard par deux fois, mais c'est surtout à travers ses ouvrages sur Napoléon (il est la référence vivante sur le sujet aujourd'hui) que je le connais, en tant qu'historien donc. Et que dire si ce n'est que ce Dictionnaire amoureux du cinéma reflète selon moi parfaitement sa personnalité ? Au-delà des références qu'il mobilise pour nous livrer cet ouvrage - très (trop) occidentalo-centrées -, c'est surtout dans sa façon d'écrire ses entrées qu'il est le plus décevant.


L'aridité de son style, la poussiéreuse inertie de son verbe, couplées à cette fâcheuse manie qu'il a de vouloir écrire par deux fois les titres des oeuvres en langue étrangère (avec leur traduction française entre parenthèses), sans que ce ne soit d'une quelconque utilité au lecteur, contribue encore plus à faire de certaines notices des anecdotes aux platitudes regrettables. Marlene Dietrich est belle, Peckinpah est violent, Kubrick un orfèvre... Rien de nouveau sous le soleil donc. Par comparaison avec le très réussi Dictionnaire amoureux de Paris, signé Nicolas d'Estienne d'Orves, ce volume consacré au cinéma est une déception.


Tulard, auteur d'un Guilde des films en trois volumes, n'était sans doute pas la meilleure personne à mobiliser pour un ouvrage qui demande à la fois une connaissance globale du sujet et une sensibilité presque poétique pour le rendre intéressant à lire sur le plan littéraire. On ressent trop le style de l'historien poindre derrière chaque paragraphe. Cela manque de lyrisme, de références littéraires, philosophiques qui pourraient rendre la lecture plus vive, plus succulente...


Je m'étais promis de ne pas critiquer le choix des entrées, celles-ci étant par essence subjectives suivant leur auteur, mais il y a quand même de grosses lacunes dans ce Dictionnaire, qui ne sont pourtant ni de l'ordre de l'érudition, ni du snobisme : pratiquement aucune mention du cinéma expérimental/d'art et d'essai, rien sur le cinéma russe/soviétique (hormis Eisenstein), rien sur Cinecittà non plus, et la Nouvelle Vague française... est curieusement expédiée en à peine une page (la notice sur Godard a au moins eu le mérite de me faire sourire... à cause de sa chute quasi-méprisante).


Le cinéma hors Europe et Etats-Unis se résume pour lui à Hong Kong et au Japon (pas de mention de la Nouvelle Vague dans ce pays - les années 60/70 sont évacuées de la notice - ni de la place de Godzilla dans l'imaginaire populaire japonais), sans mentionner d'autres pays comme la Chine continentale, Taïwan, la Thaïlande ou l'Indonésie. Le cinéma sud-coréen est quant à lui traité en un petit paragraphe à la fin de l'entrée "Hong Kong"... et rien n'est dit sur l'Amérique latine et ses cinéastes pourtant en vogue depuis les années 1990... Bon point cependant pour la notice de Bollywood, plutôt fournie.


Des absences qui révèlent finalement une conception conservatrice du cinéma, propre à cette génération à laquelle appartient Tulard, né dans les années 30 et marqué profondément dans sa jeunesse par le cinéma de l'Hollywood triomphant. Une connaissance aigüe et presque trop livresque de cette période ne saurait lui être enlevée : l'amateur de cinéma y trouvera là sans doute les meilleures pages d'un livre un peu trop classique, un peu trop bien rangé au sujet de cet art pourtant total, passionnant et passionné, et qui mériterait peut-être un volume supplémentaire, plus enlevé, plus festoyant.

grantofficer
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le 1 déc. 2020

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