Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Ce qui va suivre m’embarrasse, d’une part parce que d’ordinaire l’auteur de Pastiches et Postiches me convainc plutôt, d’autre part parce qu’en plus d’avoir une culture supérieure à la mienne, l’intelligence d’Umberto Eco suffirait à compenser toute cette culture que je n’ai pas. Même si un footballeur du dimanche a toute légitimité pour émettre un jugement sur une finale de Coupe du monde, je ne voudrais pas que les remarques ci-dessous prennent l’air de conseils dispensés par un coach de quatrième division de district à Didier Deschamps ou à Jürgen Klopp.
Dire presque la même chose fait quatre cent cinquante pages. C’est beaucoup. Même si les questions de traductologie constituent un vaste sujet, c’est beaucoup. Même si l’ouvrage en propose un assez vaste aperçu (« certaines notions générales sur la traduction sont désormais un patrimoine commun », p. 27), c’est beaucoup. Même s’il emprunte quelquefois des chemins de traverse, c’est beaucoup. Même si les fruits des arbres qui poussent au bord de ces chemins peuvent être nourrissants (« si l’imagination grecque était visuelle, l’imagination hébraïque est auditive », p. 424), c’est beaucoup.
Quatorze chapitres, c’est beaucoup. Eco dit avoir « voulu garder le ton de conversation qu’ils avaient au moment ou [il] les [a] prononcés » (p. 11) : on a parfois l’impression d’avoir face à soi un interlocuteur qui parle, parle, parle, sans s’arrêter et surtout sans remarquer qu’il a parfois déjà dit, voire déjà répété dix minutes plus tôt ce qu’il dit – certes d’une façon un peu différente.
Or, si la répétition a du bon, en particulier pour poser les fondements d’un exposé sur une notion aussi théoriquement et pratiquement étendue que la traduction, elle devient pesante dès lors qu’il s’agit de démontrer ce qu’a conclu par lui-même n’importe quel adulte qui à l’adolescence s’est déjà retrouvé devant un thème ou une version (« la traduction […] ne se produit pas entre systèmes, mais bien entre textes », p. 24) ou de soulever des points qu’on soulève dès lors qu’on se demande ce qu’on dit lorsqu’on parle (« c’est justement le succès de fait de tant d’opérations de traduction qui pose, ou repose, à la philosophie le plus grand problème philosophique entre tous, savoir s’il existe une façon (ou plusieurs, mais pas n’importe lesquelles) dont vont les choses, indépendamment de comment nos langues les font aller », p. 450).
Alors bien sûr, il y a des idées intéressantes, mais tellement diluées… Quant à celles qui me semblent les moins pertinentes – et qu’Eco ne fait pas nécessairement siennes, mais son ouvrage a aussi le mérite de présenter différentes théories qui ont marqué ou marquent toujours la discipline –, par exemple l’idée qu’« une traduction (surtout dans le cas de textes à finalité esthétique) doit produire le même effet que celui que visait l’original » (p. 100), j’eusse aimé les voir un peu plus malmenées. (Ce qui me gêne dans cette théorie, c’est d’une part qu’un texte ne vise jamais rien : l’auteur vise quelque chose, le texte atteint la cible ou non ; d’autre part qu’une telle conception impliquerait une traduction par lecteur, voire une traduction par lecture, même si ce point est sans doute aussi valable pour un texte lu dans la langue originale.)
Dans Dire presque la même chose, Eco ressemble parfois à ces professeurs qui, en termes fort choisis, expliquent la reproduction des mammifères à une classe de collégiens de la campagne qui voient depuis l’enfance les taureaux ou les chiens copuler à cœur joie dans les prés ou les cours de ferme. Ou bien à ceux, parfois les mêmes, qui commencent par expliquer la différence entre un attribut du sujet et un c.o.d. et trois minutes plus tard se retrouvent à expliquer pourquoi la pizza Margarita s’appelle Margarita. Ça ne remet en cause ni leurs compétences, ni leur honnêteté, ni leur envie de bien faire, encore moins l’étendue de leurs connaissances, naturellement.
Mais franchement, aux yeux d’un lecteur qui s’est un jour ne serait-ce que demandé ce qu’était une traduction, le fait que « toute traduction, même celle d’un panneau de signalisation, a en soi un aspect esthético-stylistique » (p. 333) semble une évidence, non ? Quant à celui qui ne s’est jamais posé la question, aura-t-il jamais entre les mains le livre d’Eco ?
P.S. – Devoir de vacances : trouver l’anacoluthe dans la première phrase de cette critique.
Créée
le 16 juil. 2019
Critique lue 75 fois
1 j'aime
Du même critique
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...
Par
le 12 nov. 2021
21 j'aime
Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...
Par
le 4 avr. 2018
21 j'aime