Au bout du compte, je reste assez mitigé. Pas sur le caractère moral (ou non) du roman : sur ce plan-là, il est même moins malsain qu’une bonne partie de la littérature littérature pornographique ou érotique, y compris des classiques du genre. Quant au style littéraire, sans être brillant, celui de Dirty Sexy Valley est plutôt efficace, bien que le lecteur amateur de pornographie comique soit beaucoup plus susceptible de trouver son plaisir chez Guillaume Apollinaire ou Pierre Louÿs. (Je reviendrai sous peu sur la question du style.)
Le côté nanar en lui-même ne me gêne pas trop non plus : on peut trouver à lire certains livres le même intérêt qu’à regarder le Lac des morts-vivants ou la Créature du lagon. (Le dernier nanar que je me souviens avoir lu : Greffe mortelle, de Marc Agapit.) Mais Dirty Sexy Valley est un nanar organisé, délibéré – l’équivalent des jeans déjà troués vendus neufs dans les boutiques branchées. On trouve dans le roman – c’est là que j’en reviens au style – des passages tels que « mue par un instinct venu des âges les plus lointains de l’humanité, elle se mit à branler Pascal » (p. 119 de la collection poche) ou un ours qui court « babines baveuses et immenses crocs toutes voiles dehors » (p. 206). Dans un vrai mauvais roman – ou sous la plume d’un Alexandre Dumas érotomane ! –, ces traits grotesques seraient involontaires. Pas dans Dirty Sexy Valley, où le mauvais goût est revendiqué : un roman presque trop intelligent pour être réussi…
Il est tout à fait juste de parler d’hommage (par exemple aux films de Tarantino, dont la plupart sont d’ailleurs eux-mêmes des hommages, ou de Russ Meyer), mais ici l’hommage conditionne tout, y compris ces incongruités scénaristiques qui ne paraîtront des incongruités qu’au lecteur qui n’a jamais vu le moindre film d’horreur. (Que celui-ci se rassure : le roman est suivi d’une liste de titres de films, dont les quatre premiers, les Chiens de de paille, Délivrance, Massacre à la tronçonneuse et La colline a des yeux sont la base du genre. Mais ceux-là ne jouent pas sur les codes : ils les mettent en place.)
En plus d’illustrer un manque d’ambition que dans d’autres cas on appellerait paresse, cette esthétique de l’hommage empêche le roman de traduire la moindre vision personnelle. Même l’humour, par ailleurs plus noir que grivois, reste assez généraliste. Un autre signe qui ne trompe pas : alors que la plupart des livres pornographiques – ou même d’horreur – permettent de se faire une idée assez précise des fantasmes de leur auteur, rien de tel dans Dirty Sexy Valley – ou alors le fantasme d’Olivier Bruneau est de se faire une soirée films de rednecks devant sa télévision, ce qui en termes d’excitation reste assez limité.
Difficile de porter un regard sur les choses quand on est occupé à faire des clins d’œil…