Aimé Césaire laisse assez peu de gens indifférents, et encore plus lorsque l'on prend la peine de le lire réellement. Trop radical pour certains, pas assez pour d'autres, figure de proue de la Négritude, son franc-parler, sa revendication identitaire choquent. C'est compréhensible, il faut dire que ses réquisitoires sont parfois d'une virulence qui perturbe. Dans son Discours sur le colonialisme, il va d'ailleurs jusqu'à comparer le bourgeois blanc européen à Hitler... excessif ou non ? c'est une question à laquelle il est difficile de répondre, à laquelle il est probablement impossible de répondre sans se faire soupçonner de partisanerie. Cela étant, cette interrogation n'est pas vraiment pertinente.
Ce qui est pertinent, c'est le cri de colère, décomplexé, de celui qui s'identifie comme nègre,victime du colonialisme et d'une violence aussi bien concrète qu'abstraite. C'est le point de vue d'une humanité à qui l'on nie ce titre.
C'est surtout et essentiellement une condamnation de la pensée et du système bourgeois, son principe d'autoconservation et les méthodes extrêmement efficaces qui en découlent afin de nier le réel et créer une vérité utile. Celle de la soumission heureuse, de la domination justifiée, de l'inégalité rationalisée. En somme, celle du colonialisme.
En Belgique, aujourd'hui encore, si beaucoup connaissent les pages les plus noires du passé colonial du pays, je constate encore fréquemment que certains n'ont pas appris à l'école le versant négatif de l'époque coloniale. Léopold II est encore parfois présenté comme un roi éminemment sympathique, roi constructeur (sur le sang des opprimés), roi providentiel (pour certains plus que pour d'autres). Je ne suis certainement pas pour le fait que les nouvelles générations portent la faute des précédentes, d'autant plus que le cas du Congo est complexe (bien que les méfaits commis sous l'administration royale belge soient plutôt indéniables), mais il parait aberrant que le colonialisme, si profondément inscrit dans la culture européenne, ne soit pas étudié de manière critique et moderne. Finalement, on n'en est plus complètement encore aux justifications odieuses que Césaire prend la peine de pointer et dénoncer (arguments génétiques, religieux, climatiques ou culturels, entre autres, pour justifier la domination d'une classe sociale sur une autre), mais on sent quand même assez durement le tabou face au sujet.
En cela, son Discours sur le colonialisme apparait comme une lecture importante, significative pour lutter contre le silence. Lecture d'autant plus essentielle qu'elle contient toute l'émotion de cet autre qui refuse d'être nié et bâillonné.