"Dix jours avant la fin du monde" part d'une idée assez originale : deux lignes d'explosions (dont l'origine ne sera jamais dévoilée) ravagent la planète avec une lenteur lancinante, jusqu'à se rejoindre en Bretagne au bout de dix jours. Cette histoire est donc celle d'un compte-à-rebours vers une fin qui semble inexorable. Ce roman choral suit plusieurs personnages qui, pour la plupart d'entre eux, n'ont aucun lien les uns avec les autres, mais qui finiront tous par se rejoindre pour partager leurs derniers jours ensemble.
Si l'idée de base est intéressante et crée une atmosphère assez lourde et crépusculaire, l'exécution a été - pour moi - un peu décevante. L'histoire est prenante, mais je trouve cette fin du monde un peu trop "propre" : l'autrice dépeint bien quelques scènes de violences et de pillages, mais ce qui semble dominer l'ensemble du récit, c'est l'attente plus que la peur, illustrée ici avec cet embouteillage interminable vers la Bretagne. À aucun moment, les choses ne dégénèrent vraiment, ce qui est un parti pris que je respecte totalement mais auquel je peine un peu à croire. Cela dit, soyons honnêtes, si fin du monde il doit y avoir, j'espère sincèrement que l'humain sera plus semblable à celui de ce récit qu'à celui que j'imagine... Peut-être est-ce là la façon qu'a Manon Fargetton d'exprimer sa foi en l'être humain...?
Le style, quant à lui, est accrocheur par sa simplicité, aidant le lecteur à enchaîner les pages sans difficulté. J'aurais néanmoins apprécié des descriptions plus fournies et une approche parfois un peu plus littéraire pour "sublimer" cette fin du monde. La forme est classique : celle d'un page turner dont le rythme est plutôt efficace !
Les personnages sont pour la plupart d'entre eux assez attachants. On peine parfois un peu à comprendre leurs réactions, mais j'imagine que c'est ce qui contribue à les rendre plus humains. J'ai notamment beaucoup aimé le personnage de Brahim, d'une gentillesse et d'une humanité illimitées (sans doute trop, d'ailleurs, pour être pleinement crédible, mais cela contribue à amener une touche d'espoir dans ce roman assez sombre). J'ai également apprécié le personnage de Sara, dans sa quête de vivre le plus intensément possible les quelques jours qui lui restent, quitte à s'abandonner à des expériences assez glauques... malheureusement, le roman délaisse son point de vue au moment où elle fait ce choix et quitte le petit groupe de personnages. J'ai trouvé cela un peu dommage, car je pense que plus d'introspection à l'intérieur de ce personnage aurait permis d'accentuer davantage le désespoir ambient.
En revanche, j'ai viscéralement détesté le personnage de Gwenaël, cet écrivain qui lutte contre la montre pour achever son roman avant que la fin du monde ne le rattrape, et ce au détriment de tous les personnages qui l'entourent. Le type passe dix jours à rejeter tout le monde, il ne fait rien pour aider aux tâches quotidiennes et personne ne bronche à ce sujet, semblant accepter collectivement de le traiter comme un enfant un peu spécial à qui on ne peut rien demander et à qui on doit assistance. La seule à s'insurger contre lui est Sara, sa copine, dont on ne peut que comprendre la colère et l'exaspération. Je comprends la beauté de ce personnage dévoré par sa passion et qui éprouve le besoin de l'assouvir jusqu'au bout (le message est clair : même en situation de crise, la littérature (et l'art en général) n'est jamais futile) ; cependant, son jusqu'au-boutisme le rend profondément égoïste, ce qui - à mon sens - altère ce message.
Régulièrement, "Dix jours avant la fin du monde" est d'ailleurs parsemé d'extraits du roman de Gwenaël, suggérant que celui-ci voit l'avenir à travers ses inspirations littéraires ; là aussi, j'ai trouvé l'idée intéressante, mais l'exécution beaucoup moins, tant ces passages m'ont paru incompréhensibles et ses envolées lyriques un peu artificielles.
En résumé, je dirais que j'ai plutôt pris du plaisir à lire ce roman, notamment grâce à l'efficacité de son rythme et de son intrigue, mais je ne pense pas que j'en garderai beaucoup de souvenirs. Je serai néanmoins curieux d'essayer d'autres romans de Manon Fargetton.