Le mystère Dom Juan. (1e version avant étude)
J'ai dû, pour les besoins de mes cours, relire Dom Juan, qui était à ce jour le Molière que j'aimais le moins. Non que je fusse choquée par la phallocratie de la pièce (n'en déplaise à @20thCenturyBoy !), mais plutôt du fait de diverses raisons, tels le peu de crédibilité de l'enchaînement des événements, les coïncidences un peu trop faciles, le manque de cohérence strict de l'ensemble, la rapidité incroyable de la fin... J'avais attribué 5 à la pièce. Maintenant, je lui ajoute un point, et seulement un point : parce qu'il y a des reproches que j'avais faits à Dom Juan qui se sont annulés à ma très attentive relecture, ou parce que j'ai découvert d'autres faiblesses (à mon avis) dans l'oeuvre.
Oui, en effet, les événements s'enchaînent sans grande logique parfois, surviennent un Dom Louis par ici et un Dom Carlos par là, pouf, au milieu de la scène, alors qu'ils s'étaient cherchés pendant des lustres. Le hasard fait vraiment bien les choses ! C'est souvent ça au théâtre, mais là c'est vraiment abusif je trouve, c'est un peu les "grosses ficelles du théâtre" dont parle Ionesco. Moi ça m'énerve. Conséquence, l'absence de cohérence spatio-temporelle : tout s'enchaîne souvent (je prends pour preuve la continuité des dialogues) et Dom Juan semble attirer précisément ceux qu'il doit rencontrer pour les besoins du spectacle. Non vraiment, je trouve ça trop facile. Avec une très grande variété de situations : à l'étude, oui, ça s'explique et se comprend, mais à première vue l'ensemble reste assez disparate. Quant à la rapidité de la fin, j'ai compris qu'elle était voulue, pensée pour laisser le lecteur abasourdi - passe donc.
Mais finalement, ce qui m'a le plus dérangée dans cet pièce, c'est l'anti-manichéisme fait homme chez Dom Juan. Chez Sganarelle aussi (à la fois complètement stupide et fin de temps en temps), mais surtout chez notre mythique séducteur. Vous allez me dire, non mais c'est génial que Dom Juan ne soit pas tout noir, qu'il ne se limite pas à être le grand méchant qui séduit de pauvre donzelles sans défense : oui, c'est bien. Mais ça pose des problèmes. Parce que le grand talent de Molière, dans cette oeuvre, est de faire la satire de nombreuses choses, comme des vices de la cour, mais en particulier de la religion : et on ne sait pas sur quel pied danser, car si Molière se moque allègrement de ses excès, plaçant les discours les plus brillants dans la bouche de Dom Juan, sans conteste le personnage le plus intelligent et intéressant de la pièce, il est quand même puni à la fin. Et le fait de ne pas pouvoir se décider sur les intentions du dramaturge me dérange ; parfois ça me plaît, mais là je trouve surtout cela perturbant. Dom Juan, est-ce une pièce morale ? Est-ce une pièce écrite par un croyant ou par un athée ? On me répondra que Molière ne condamne que les excès de la religion ; je ne suis pas sûre que ce soit si simple. Pourquoi, en effet, faire de Dom Juan le plus fin des hommes, et en même temps le plus débauché ?
Ceci dit, cette ambivalence est aussi appréciable, car elle est très moderne - Dom Juan a aussi de bons côtés, outre son libertinage, il est courageux dans ses meilleurs moments par exemple - et il a même du courage dans le "vice", car ce vice, il l'assume jusqu'au bout, il ne cède pas à la facilité du repentir, et justifie (avec brio) ses actes. Ce qui passait à l'époque pour de l'impénitence, du vice, de l'hérésie est aujourd'hui un mode de pensée tout à fait défendable (je ne parle pas des actes de Don Juan mais de sa théorie, qu'on se comprenne bien, hein !).
En fait, je crois que Dom Juan est une pièce qui laisse entrevoir de merveilleuses possibilités, et qui révèle énormément de choses avec une lecture qui va un peu en profondeur. Pourtant, si la pièce pose de très bonnes questions, elle n'y répond pas le moins du monde. Ce dont j'ai peur, moi, c'est qu'on prenne la pièce pour une apologie de la morale - or à bien y réfléchir je pense que ce serait un contresens. Mais je laisse mon interprétation ouverte aux critiques : qu'en pensez-vous ? Peut-être que je me goure complètement.
Je reste donc un peu sur ma faim. Et malgré tout, appréciation toute subjective, je ne suis jamais vraiment touchée par la pièce. Elle est subtile, mais... peut-être un peu trop ?