"Jamais l'oubli ne ternira sa gloire"
Partons, partons, à la suite du bon Don Quichotte et de son fidèle Sancho Pança ! Suivons les traces des chevaliers errants, cherchons les spectres de l'âge d'or Espagnol, guidons-nous grâce aux dents que Quichotte a semées de la Manche aux rochers de la Sierra Morena, au fil des batailles, des coups dans la mâchoire, des Biscaïens et des muletiers, des archers et des enchanteurs.
Ce qui peut surprendre le plus, ici, c'est de se rappeler à chaque pas que l'on fait plus profond dans l'Espagne et dans les pages, que le charismatique Hidalgo est né au tout début du XVII° siècle. L'homme ne fait pas son âge, je sais. Don Quichotte est parfait pour vous accompagner en vacances, pour se lire tranquillement au soleil, pour vous surprendre à rire fort, seul, dans un train bondé, pour faire passer 600 pages en un petit clin d'oeil. Mais un livre qui distrait et que l'on peut lire n'importe où n'est pas pour autant un livre simple. Quichotte n'est pas simplement un clown un peu fou qui perd ses dents et Sancho est loin d'essayer de lui accrocher les pieds sur terre. Si l'on rit, pourtant, il n'y a pas ici que du comique, nous parlons du chevalier de la Triste Figure, qui se veut héros mais ne fait que se heurter aux autres et au monde, qui a pour étalon un Rossinante tremblant, toujours prêt à s'effondrer. Nous parlons d'un Sancho qui suit son maître et finit par l'aimer parce qu'on lui a promis une île. Une île, de l'impossible qu'il suit pourtant à la trace, prémisse peut être à tous ces valets qui demanderont leurs gages. Nous parlons de la cruauté du regard que l'on porte sur un pauvre homme édenté, blessé, idéaliste, dont on se moque. "Il pleuvait autant de sang du visage du pauvre chevalier que du sien. Le chanoine crevait de rire, aussi faisait le curé, les archers sautaient de joie, ils les agaçaient l'un contre l'autre, comme on fait aux chiens".
Et le regard de Cervantès, plein d'ironie et pourtant d'admiration. Si l'Hidalgo est perdu dans ses rêves, lui ne l'est pas et lance cruellement un Quichotte qu'il aime dans la jungle de la prose et des hommes. On n'admire pas le Quichotte, on le comprend.
"Peut être la chevalerie et les enchantements de notre temps doivent-ils prendre une autre route que celle qu'ont suivie les anciens ; et aussi possible que, comme je suis nouveau chevalier au monde, et le premier qui ait ressuscité l'exercice déjà oublié de la chevalerie aventurière...". Parce que même si Quichotte croit suivre la route de ces chevaliers que l'Espagne du siècle d'or a portés, il est pourtant indéniable qu'il est un premier. Un des premiers romans, parait-il. Quichotte porte avec lui ce recul qui laisse admiratif. Quichotte vous divertit, révolutionne et vous fait réfléchir : comme on aimerait une oeuvre populaire, un "best seller" de cette ampleur avec des capacités si impressionnantes aujourd'hui. (Pourquoi des gens lisent du Musso sur la plage alors que Don Quichotte vous apporte tellement plus, tout en simplicité ?). Il vous fait rire, pleurer, rêver, réfléchir, et réaliser que Miguel de Cervantès a publié en 1605 une oeuvre qui peut être lue de tous temps avec autant de facilité. Don Quichotte n'est pas pour rien ce chevalier dont chacun connait le nom. Don Quichotte n'a pas volé sa renommée.
"Tous ces malheurs sont attachés à ceux qui font la même profession que moi, et, si ces calamités ne me fussent arrivées, je ne me fusse pas tenu pour fameux chevalier errant : car aux chevaliers de faible renommée et de gloire nulle, jamais il ne leur advint de semblables aventures, d'autant que personne au monde ne se souvient d'eux."
Se délecter du langage décalé d'un Quichotte qui l'est tout autant. Et l'on voudrait croire le fou. On le croit lorsqu'on entend les autres parler littérature, mimesis, enseignement de la vertu et censure. Laissez parler le premier des fous, libre, lui, écoutez-le, et nommez votre vélo Rossinante.
