C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous.
Au XVIIe siècle, un gentilhomme espagnol se passionne pour les romans de chevalerie dans son petit village de la Manche. Il est déjà d'un âge avancé et sa passion semble inoffensive, jusqu'à ce qu'il commence à se prendre lui même pour le protagoniste de ses œuvres au grand désespoir de sa servante et de sa nièce. Il décide de s'armer et d'aller courir le monde pour défendre la veuve et l'orphelin sous le nom de Don Quichotte de la Manche. La première chose qu'il lui faut faire est de se trouver une dame à qui offrir son cœur et se recommander avant les combats, il choisira Aldonza Lorenzo une paysanne du village voisin pour qui il avait eu le béguin pendant sans jeunesse et la nommera : Dulcinée du Toboso. Il voit en son cheval malingre le plus puissants des destriers et le baptise Rossinante. Il s'agit maintenant de trouver un écuyer à sa mesure, il ira tout simplement voir son voisin, Sancho Panza et aura tôt fait de le convaincre des avantages qu'il y a à le suivre. Pour cela il lui promet de le nommer gouverneur d'un archipel et lui promet de nombreuses richesses. La naïveté de l'écuyer et la folie de son maître transformeront les évènements les plus insignifiants en aventures rocambolesques.
On présente souvent Don Quichotte comme le premier roman, et à ce titre l'œuvre est plus ou moins intouchable. Elle a des qualités indubitables, cependant elle comporte aussi pas mal de défauts qu'on ne peut tous mettre sur le compte de l'époque. Pour se protéger, Cervantes s'est voulu simple traducteur de l'histoire de Don Quichotte, la toute première partie serait tirée d'archives puis ensuite il prétend se servir d'écrits d'un historien musulman : Sidi Ahmed Benengeli. Ce procédé est une intéressante mise en abîme, même si elle est utilisée pour se dédouaner devant les critiques. Je reprocherai à Cervantès de nombreuses incohérences, lui qui est d'une rigueur sans faille quand il s'agit de citer les ouvrages qu'il entend critiquer. Quelques exemples : Don Quichotte connait sa Dulcinée puisqu'il l'a vue plus jeune, cependant dans la deuxième partie du récit il est dit qu'il ignore à quoi elle ressemble et qu'il ne l'aurait jamais vue, la femme de Sancho s'appelle d'abord Juana et vingt pages après Thérèse... Le personnage de l'écuyer est parfois complètement stupide, alors qu'à d'autres moment il s'exprime à merveille et rend des jugements qui feraient passer le roi Salomon pour un despote. Je regrette aussi que les péripéties se ressemblent, je me suis beaucoup amusée pendant les premières pages du récit, et j'ai lutté pour finir le premier tome, les amoureux transis des jeunes filles plus belles les unes que les autres, les honneurs bafoués, bon une fois ça va, quinze, vingt, trente, c'est un peu beaucoup. Reste que je suis complètement sous le charme du Chevalier à la triste figure, dont la verve est admirable et la personnalité plus encore. Sans doute le premier anti-héros de la littérature. Le roman est profondément théâtral, avec peu de personnages, d'ailleurs souvent les personnages secondaires sont réutilisés dans plusieurs scènes, les lieux eux aussi sont semblables, chemins, auberge ou château. Il n'y a besoin de guère d'efforts pour imaginer le récit mis en scène. J'ai pu lire la traduction d'Aline Schulman, qui a fait un gros travail pour redonner le ton oral de ce roman, avec succès, au détriment de quelques proverbes savoureux de Sancho. Je n'ai malheureusement pas pu me procurer d'édition en langue espagnole, mais le travail de cette dame est excellent, je recommande de choisir cette traduction-ci. Les aventures de l'hidalgo restent un ouvrage de référence, dont on ne peut se passer quand on se targue d'avoir une véritable culture littéraire, je l'avais adoré en version écourtée pendant mon enfance, et je suis heureuse de l'avoir retrouvé aujourd'hui, il n'a pas pris une ride.