A la fin des années 80, le narrateur (Modiano lui-même ?) lit une annonce dans un journal de décembre 1941. Une jeune juive parisienne, Dora Bruder, 16 ans, est recherchée suite à une fugue. Pour une raison que l'on ignore (mais que l'on devine au fil du livre), le narrateur va se lancer dans de longues recherches pour trouver le plus de renseignements possibles sur Dora et sa famille. Son père qui s'est enfui d'Autriche. Sa date de naissance. La vie que Dora a pu mener dans le Paris de l'Occupation surtout.
Et comme les renseignements sont forcément lacunaires, notre narrateur va les compléter. Imaginer la vie de cette jeune fille, imaginer les raisons de sa fugue, etc. La fiction se mêle alors à la réalité, on voit l'imagination d'un écrivain au travail, on comprend mieux comment un romancier peut créer un personnage à partir d'une réalité.
Cette partie m'a fait penser au fabuleux poème de Baudelaire, Les Fenêtres : "Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant." Il y avait de cela dans la démarche du narrateur : reconstituer une vie à partir d'éléments épars, souvent administratifs.
Si ce court livre (150 pages à peine) s'était tenu à cela, ç'aurait déjà été assez bien. Mais Modiano va plus loin : il va mêler la vie (en partie fantasmée) de Dora Bruder et sa propre vie. Ca commence par les quartiers de Paris où ils ont vécu tous deux. Le narrateur va parcourir les mêmes rues, visiter des lieux similaires, se rapprocher encore un peu plus de Dora.
Et puis, il y a le rapport entre le narrateur et son père. Ce père à la fois aimé et détesté. Ce père qui a été transféré à Drancy pendant l'Occupation, comme Dora et son père. Les parcours se mêlent encore plus, les vies de Dora et du narrateur se répondent, un écho troublant se crée entre les deux personnages.
Echo d'autant plus troublant qu'une question m'a turlupiné pendant la lecture : ce narrateur, est-il vraiment Modiano ? Dans un tel livre, qui se plaît à réunir réalité et fiction, à brouiller les frontières entre documentaire et roman, à quoi peut-on se fier ? Les informations livrées par Modiano sur sa famille (et son père en particulier), est-ce réalité ou fiction ? On arrive donc à une remise en cause de tout la réalité de l'oeuvre.
Le livre se présente comme une succession de scènes, comme des pensées qui s'enchaînent sans vraiment respecter la moindre logique, ni chronologique, ni thématique. Modiano insiste plus sur les impressions, les sentiments ressentis par le narrateur. Les souvenirs personnels arrivent comme des fulgurances, sans prévenir. On pourrait assister à une suite de tableaux impressionnistes.
L'écriture est très simple, sans fioritures particulières. L'ensemble se lit très rapidement. Une oeuvre agréable, même si on se demande un peu où Modiano veut en venir réellement...