Il y a dix jours, mon mari m'a dit : "Tu as l'air fatiguée, je sais qu'en ce moment ce n'est pas la joie au boulot, allez, je t'emmène quelques jours à Barcelone".
Je sais, mon mari est formidable.
Là, normalement, vous vous dîtes que je me suis plantée de réseau social et que vous ne lirez pas un mot sur Modiano.
Faux.
Je reprends.
Après quatre jours sur les traces du fabuleux Gaudi, je me suis écroulée de fatigue sur un banc du métro - station Diagonal. Là, à côté de moi... un Folio. Étonnement. Rapide coup d’œil à droite, rapide coup d’œil à gauche ; personne à moins de six mètres, pas de doute, ce Folio est orphelin. Ma main se pose sur lui, consolante - "Qu'est-ce que tu fais là tout seul, pauvre petit livre ?" -, je le retourne et fais connaissance avec "Dora Bruder". Jamais entendu parler mais je suis d'une ignorance crasse à mes heures. Je lorgne surtout le nom de son auteur, un prix Nobel tout juste sorti de l’œuf ! Joli clin d’œil - comprendra qui pourra.
TOUT ça, oui tout ça pour introduire ma première expérience de book crossing !
Non, là, franchement, Gwen, tu abuses de leur patience.
Aux faits.
Pour ma défense, je n'étais pas la seule à ne pas savoir qui était Dora Bruder. Quand débute le récit, le narrateur ne le sait pas non plus. Il cherche à savoir, du coup moi aussi ; il m'entraîne avec lui, page après page, pas après pas, trace après trace. Nous voici compagnons de voyage.
J'ai vraiment aimé suivre son investigation désintéressée et pourtant obsédante pour découvrir qui était cette jeune juive qui vivait à Paris sous l'Occupation.
J'ai aimé ce récit et son étrange intensité pleine de pudeur, qui enveloppe certains détails plus que d'autres, qui développe l'émotion patiemment, qui aborde l'Histoire par une petite porte dérobée, intime, banale, commune. Aussi banale et commune que l'existence volée de Dora Bruder - 15 ans, déportée à Auschwitz en 1942 -, aussi banale et commune que toutes les existences volées par la guerre.
J'ai aimé mon premier Modiano ; j'ai aimé le rencontrer sur un banc à 900 km de chez moi.
Et par-dessus tout, j'aime être en vie et j'aime mon mari.