Trois actes construisent ce livre, comme trois points sur une boucle de solitude, et une héroïne double parce que sa vie oscille entre deux prénoms, Dôra Doralina : Dôra, ou encore Marie des Douleurs, et Doralina, la petite Dôra heureuse.
Douleur parce que toute jeune, déjà estampillée d'une solitude atavique, elle perd son père pour tomber sous la coupe d'une mère tyrannique, la Senhora, menant ses proches et son personnel comme les bêtes de sa ferme du Sertão : à la cravache ; douleur parce que son mariage d'intérêt est un fiasco, son enfant mort-né et son mari plus qu'équivoque avec sa mère.
Seu Bradini ne comprenait pas que, parmi les étrangers, je me trouvais enterrée, noyée, ensevelie, sans rien autour de moi, seule au milieu des autres, toute seule du lever au coucher du soleil, seule dans ma chambre et dans la rue, dans l'obscurité de la nuit et au milieu de la foule... Il ne comprenait pas ça.
A la fazenda, j'étais seule aussi, mais dans une sorte de solitude peuplée, une solitude que je connaissais, une solitude ancienne que je portais dans mon sang.
Alors Doralina s'exile, poussée à renaître en s'émancipant du bourbier natal pour convoler avec une troupe de théâtre. Se grimer, se déguiser, jouer des apparences, en attente d'elle-même, jusqu'à ce qu'elle fasse peau neuve par le pouvoir d'un homme, l'amour de sa vie : le Capitaine, Asmodeu, au prénom Biblique et démoniaque. Doralina est heureuse jusqu'au frisson, Doralina danse sa vie avec Asmodeu, tandis que l'ombre de Dôra des douleurs patiente, tapie dans sa solitude.
Puis vient la « Fin du livre du Capitaine » qui emporte Doralina. Reste Dôra. Ravalant sa colère et son désir de liberté, elle reviendra à la ferme de sa mère, décédée, pour prendre sa place, seule, comme sa mère l'était : être la Senhora.
Rachel de Queiroz, haute figure du renouveau littéraire brésilien, à la fois moderniste et régionaliste, nous invite à danser dans une oeuvre lente, épurée, mesurée. Comme on remonterait le rio São Francisco à bord du poussif bateau du Capitaine, Dôra Doralina prend le temps de nous travailler au corps de sa lucidité et cheviller nos âmes avec le destin d'une femme-cicatrice universelle.
J'avais très bien senti que cet homme, il n'avait qu'à le vouloir, pouvait m'attraper dans le creux de sa main.
Tandis que moi quatre nuits