Douleur
7.2
Douleur

livre de Zeruya Shalev ()

Iris, la cinquantaine, voit sa vie bouleversée lorsqu’elle tombe par hasard sur son premier amour. Quant à sa fille, elle semble aller de plus en plus mal et s’éloigne du foyer familial. Poignant.


On a affaire là à un livre magnifique dont le titre peut faire écho à La Douleur de Marguerite Duras. Iris, directrice d’une école à Jérusalem, va connaître tout au long du roman différentes douleurs et ce, dès la première page, où lui revient d’un coup « ce mal, ce mal terrible et lancinant ». Pourtant, elle avait cherché à oublier l’attentat dont elle a été victime, il y a dix ans jour pour jour. A partir de là, Douleur propose d’évoquer la douleur sous toutes ses formes, reprenant inlassablement le même schéma : événement traumatique/rémission/tentative d’oubli.


Au-delà de la douleur liée à l’attentat et de celle liée à la perte du père parti pour la guerre, le roman se concentre particulièrement sur l’épreuve que traverse Iris : cherchant à consulter un spécialiste pour les douleurs qui la maltraitent dix ans encore après l’attentat, Iris tombe sur son premier amour, Ethan Rozenfeld, devenu médecin, qui l’avait abandonné lors de la mort sa mère. Comme de nombreux premiers amours, la rupture a été plus que difficile et Iris était entrée en dépression. La réapparition de l’être aimé ne peut que conduire Iris à se poser des questions sur la solidité de son couple et sur le bonheur qu’elle a eu à fonder une famille en donnant naissance à une fille et à un garçon : « Car si Ethan Rozenfeld ne l’avait pas abandonnée dans leur jeunesse, elle aurait vécu avec lui jusqu’à présent, avec lui et les enfants qu’ils auraient eus ensemble, elle aurait été comblée, mais il en a été décidé autrement et elle se retrouve face à trois êtres humains envers qui elle a des obligations – qu’elle respecterait à condition qu’ils respectent ses besoins, ses sentiments, sa fidélité à l’adolescente qu’elle était et à la femme qu’elle est devenue ». De rencontre en rencontre et de baiser en baiser, Iris se demande si elle doit quitter sa famille pour vivre ce qu’elle suppose être le grand amour.


Douleur est un puissant roman sur l’amour, sur la passion comme sur la douleur qui peut s’ensuivre. Ce sont les tiraillements qui déchirent Iris, les obligations familiales et professionnelles qui l’empêchent de sombrer dans la folie amoureuse. Les problèmes que traverse sa fille monopolisent aussi l’attention d’Iris : Alma, de plus en plus distante, a décidé de placer sa nouvelle vie à Tel-Aviv entre les mains d’un gourou. Mais comment sauver son enfant alors qu’il ne vous fait plus confiance ? Moins convaincant dans sa dernière partie, Douleur reste un très grand roman d’amour, portée par une plume intelligente qui sait parfaitement retranscrire les affres d’une femme au foyer et les conditions de vie en Israël.


« Il y a des vies qui se construisent pas à pas, brique par brique, atteignent leur point culminant, se stabilisent, puis lorsque vient le déclin, il est annoncé et naturel, mais il y a d’autres vies qui ont commencé à décliner presque dès le début pour cause d’apogée précoce, la sienne par exemple, et même si cette évidence ne lui a pas sauté aux yeux plus tôt, elle le savait aussi à l’époque, c’est pour ça qu’il n’y a pas vraiment de lien entre l’adolescente qu’elle a été et la femme qu’elle est devenue, ou alors un lien si ténu qu’il ne peut tenir une vie entière, d’autant plus qu’il y manque une pièce maîtresse. Comment a-t-elle eu la naïveté de croire qu’elle bâtirait une ossature solide sans cet élément central et qui se trouve présentement assis derrière la porte fermée, alors elle garde les yeux braqués dessus sans oser relâcher la tension, elle a trop peur de rater une nouvelle occasion de le voir, d’entendre sa voix, ne serait-ce que fugitivement. »

JulienCoquet
9
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le 3 mai 2021

Critique lue 86 fois

Julien Coquet

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