Dreamericana de Schufflin
Le cycle d'Antiterra est un must-read de la littérature de l’imaginaire, ou du moins est tellement immanquable qu'il serait dommage de passer à côté. Rendez compte de sa monstruosité : 20 tomes depuis 1982, 4 prix littéraires (2 Nebula, 1 Locus et 1 Hugo, excusez du peu !), et le fait qu'il ai été l'un des fondement du courant steampunk, propulsant le travail d'Hadès Shufflin auprès des productions de Tim Powers (Les Voies d'Anubis - 1983) et de K.W. Jeter (Morlock night -1979 et Machines infernales - 1987). De toute façon, même si vous n'en avez lu aucun tome, vous ne pourrez pas passer à côté de la future adaptation cinématographique du 21ème tome à venir, Dreamericana, par le nom moins monstrueux Stanley Kubrick. En effet, ce dernier a encore de la ressource à vendre après ses films I.A. (2003) et Napoléon (2008).
Je rassure le lecteur qui serait intimidé par l’œuvre : on peut très bien commencer Dreamericana sans avoir lu les précédents tomes. En effet l'un des personnages principaux, Erik Suncliff, qui est né au littéralement dès les premières pages du premier roman, s'éveille de près d'un an de vie semi-végétative avec une amnésie, après que son corps ait été occupé pendant la plus grande partie de sa vie par un Voyageur. C'est sous une toute nouvelle personnalité et identité que les Gardiens, s'opposant au Voyageurs depuis près de trente ans, vont l'utiliser à leur tour dans ce grand Jeu qui mène Antiterra au bord de la destruction.
Dreamericana de Colin
Hadès Schufflin, auteur mondialement connu, touchant largement le monde des lecteur au-delà du fandom de l’imaginaire, souffre sur plusieurs plan :
• de l'absence d'une femme qu'il ne voit plus, Anaïs Dream, dont il ne sait plus si elle est réelle ou imaginaire
• de l'absence de l'enfant qu'elle portait,
• du syndrome de la page blanche et, dans une moindre mesure, du syndrome de l'imposteur.
Nous voyons donc Hadès, sexagénaire, dévisser petit à petit avec la réalité et l’impossibilité de produire son œuvre. En cela il n'est ni aidé par Kubrick qui veut des détails pour sa propre adaptation, ni par sa maison d'édition qui le presse devant une date de publication s'approchant. Nous le suivons sur une année jusqu'à ce que sa personne et surtout sa psyché fracasse devant une montée paranoïaque gommant les limites de cette réalité. Car lorsqu’on lui propose d’accéder au monde d’Antiterra en s’y projetant grâce à l’esprit d’une tierce personne bien malin qui saura si ces deux mondes possèdent un lien (en dehors de celui de l’écrivain/démiurge), ou si nous sommes projeté dans un esprit qui a mis les voiles, loin de toute rationalité.
Dreamericana d’Hadès Colin
Dreamericana mérite vraiment d'être (re)lu. Il faudra tout de même s'attendre à un certains degré de frustration si on considère les deux récits comme étant relativement indépendant : l'un sur la création et la folie qui peut l'accompagner, et l'autre étant un pure récit de divertissement, produit de précédent. Sans compter qu’il est possible que le lecteur puisse être désarçonné au vue de la rupture sur le fond et la forme.
Pourtant les deux récits s'articulent très bien entre eux, et prennent un tout autre sens lorsque l'on songe au koan zen que j'ai mis en titre de mon texte : le rêve du papillon. En effet, mon ressenti est qu'il est difficile de savoir qui est rêvé par l'autre entre Schufflin et Suncliff, bien que l'un semble être un réel produit de l'imagination de l'autre. Impression d'autant plus renforcé par la dissolution des limites de la réalité et de l'esprit de Schufflin que par l'amnésie de Suncliff renvoyant tout son précédent vécu dans les limbes d'un rêve dont il s'éveille tout juste.
De même que la porosité entre les deux mondes se voit aussi au travers la poursuite des souvenirs d'Anaïs Dream, mystérieusement évaporée, comme si elle n’avait jamais existé, suite à un accident de la route, et dont sa disparition coïncide avec le début de la rédaction du cycle Antiterra. Venait-elle d’Antiterra ? Était-elle une projection fantasmé de la femme-muse idéale ? De même, Schufflin tend à se sentir poursuivit par un individu qu’il prend pour son hypothétique fils, alors que Suncliff parait être un fils de substitution, en papier, dont l’existence lui permet de supporter la perte de sa femme, qui était enceinte à ce moment-là.
Le livre pourrais faire l’objet de multiples autres interprétations et explications, mais je ne suis ni critique, ni essayiste. Tout ce que je peux vous proposer est d’accepter de faire un pas de côté vis-à-vis de la réalité, de voir la fuite et la poursuite de cet auteur vieillissant de chimères lui échappant de sa réalité vers son univers. En somme, de lire un très bon livre aux accents dickien, mais avec une identité propre et une plume singulière.