Difficile de noter un ouvrage de philosophie. J’ai tendance à penser que cela est quasiment impossible et ici peut-être plus qu’ailleurs pour moi puisque le livre se veut à destination de personnes ayant de réelles et grandes connaissances en philosophie esthétique.
Aussi, dire que ce livre est bon, ou qu’il est mauvais, n’aurait guère de sens puisque je n’ai pas les compétences pour pleinement le juger. Pour autant, en bon français, parlons de ce que l’on ne comprend pas (complètement).
Thomas Morisset présente dans Du Beau Jeu une étude du jeu-vidéo qui s’insère dans des débats déjà en cours où il n’est pas question de démontrer que le jeu-vidéo est de l’art (cela étant déjà prouvé) mais d’interroger l’utilité de la notion de beauté dans le cadre du jugement esthétique mais aussi du jugement technique que l’on porte sur les jeux-vidéos.
Et je crois que c’est là le coup le plus intéressante de la partie livrée par Morisset : étudier ce double jugement à la fois esthétique et technique, deux jugements distingués qui participent simultanément à la même expérience vidéo-ludique. Dialoguant aussi bien avec Kant qu’avec Simondon, Morisset veut montrer les différentes formes d’expériences esthétiques et techniques que le jeu-vidéo offre au joueur et cerner la subtilité de cet art unique.
Pour ce faire, Morisset remonte souvent aux différents aspects des jugements, des expériences, mobilisant une richesse de connaissance réelle sans perdre le lecteur dans une bibliographie fumante. La structure argumentative est souvent la même : Est-ce que le jeu-vidéo répond à la situation A ? Pour cela, commençons par définir A à partir d’auteurs classiques, montrons ensuite que cela conduit à des difficultés, que d’autres auteurs classiques offrent néanmoins une nuance intéressante et que dans ce cas, on peut appliquer A aux jeux-vidéos. Si je présente cela de manière schématique, il y a en réalité, au fur et à mesure des recherches, une richesse de points de vue qui conduit aux précisions. Comprenons bien que l’on gagne en connaissance de notre propre expérience.
L’intelligence de Morisset repose surtout sur sa capacité au dialogue et aux dépassements des situations initiales. Kant, en particulier, n’est jamais mobilisé dans quelque chose d’institué et de poussiéreux mais bien comme un professeur apte à nous aider à penser le jeu-vidéo.
Morisset a conscience que pour faire comprendre son propos, il doit aussi passer par d’autres exemples : lutherie, opéra, jeux de cartes, sport, concert, peinture, tout cela ne manque pas pour faire voir à son lecteur la diversité des jugements esthétiques et saisir ainsi ceux qui sont le plus propres aux jeux-vidéos.
Le livre offre à ce titre le bon goût de pages couleurs pour 15 figures spécifiques permettant de bien voir les nuances visuelles.
Notons en effet que le livre n’est pas avare en exemples vidéo-ludique sans pour autant en donner une centaine. Les exemples guident sans jamais cacher les idées et je pense d’ailleurs qu’il est difficile de finir le livre sans désirer commencer un nouveau jeu-vidéo !
A la fin, derrière ces éloges, que doit-on retenir de négatif ?
Je dirai simplement sa nature même : le livre ne s’offre pas à tout le monde et s’il se lit aisément avec un peu de culture philosophique, cerner le plan, les enjeux, les objectifs et les renouveaux n’est pas accessible pour un pur ignorant. Je pense qu’un lecteur comme moi, un peu cultivé en philosophie, appréciera chaque page comme je les ai appréciées, mais ne verra peut-être pas en quoi la page 100 répond à la page 50, etc.
Ce livre se veut plaisant et aisé à lire, mais il est exigeant pour être pleinement compris, pour être maîtrisé.
Les jeux-vidéos sont bien un art. La preuve en est ce livre : une exigence pareille n’est possible que pour un objet qui soit d’une hauteur supérieure.