Être nostalgique, c’est souffrir de l’oubli.
Le blanc menace de chaos, qui cause l’angoisse, parfois jusqu’à la désorientation appelée panique. Proust déambule ainsi dans les méandres du souvenir, jusqu'à la perte de sens, appelée insomnie.
La dégénérescence sénile rime avec perte d’identité.
Souffrir, c’est se souvenir sous forme de représentations.
Resouvenir, c’est faire-identité à partir du conglomérat d’expériences.
Toute mémoire consiste à recréer en aval un historique.
Toute histoire est une projection d’encre sur du papier, l’objectivisation d’une perte, d'un phénomène partiellement absent, qui fait apparaître et disparaître, ombre et enlumine, voile et dévoile, comme un croissant de lune.
Oubli, mémoire fonctionnent sélectivement.
Tout récit comporte ses vides, toute partition ses silences, tout écriture ses blancs. Toute histoire occulte partiellement.
Le récit est le ciment par lequel la mer vague se cristallise sous forme d’une identité, pour machiner.
Cette identité, muable, peu sûre d’elle-même, machine grâce au a-été.
Avoir été, l’Origine insaisissable.
Se souvenir d’avoir souffert, c’est l’expérience douloureuse de l’ouverture au mystère.
Le mystère, ce Sachant perdu, peut-être n’a jamais été.
N’avoir jamais été, voilà la belle affaire !
Ne rien être, c’est, au fond, les hommes, rêves d’une ombre.
Soit, des machines à raconter des fictions.
N’ayant pas plus de réalité que le chiffre nul.
Si nous ne sommes pas, qui est-Il ?
L’oubli, le tout.
Le Rien ?
Car Tout et Rien, toutes notions relatives, ont une valeur semblable.
Goûter l’une, nous donne à voir l’autre.
Leur matière est Néant.
Le Néant sous-tend l’organisme, l’organisme est humilié par ses trous. Oublions le Corps sans Organes, sans obstacles, plein d’être, sans trous.
On peut chiffrer ce rien comme Gatsev, ou le nommer comme les personnalistes. Déterminisme, liberté. Providence, hasard. Le verre à moitié plein, à moitié vide.
La vérité à moitié fausse, l’illusion à moitié vraie. Toutes notions qui s’opposent et ne s’opposent pas.
L’oubli et la mémoire sont taillées dans le même tronc.
Oublier c’est techniquement avancer. Se projeter c’est se souvenir dans l’avenir.
Se projeter, possible uniquement si nos récits sont nuls.
Se souvenir, c’est un moyen mnémotechnique par lequel l’affect survit artificiellement à la disparition de sa cause.
Ce mécanisme, on l’appelle « souffrance ». Elle se substitut à la cause dans la mémoire.
La souffrance, c’est la clé qui ouvre la porte du souvenir.
C’est le chemin qui mène à nos représentations, illusion d’arrivée, mirage dans le désert.
Pas plus que le chemin n’est bon ou mauvais, il n’y a de mauvaises ou de bonnes souffrances, il n’y a que des souffrances utiles.
L’instrumentation de la souffrance, c’est la nostalgie, le traumatisme tendre, la madeleine qui fait pleurer comme une madeleine.
Le traumatisme tendre voile des blessures secrètes, dévoile ce qu'il tente de cacher, derrière l'oubli, ce masque, qui jette un écran, une ombre à l'horizon