Jeune autrice, elle est née en 1985, T.McDaniel est originaire de l'Ohio, un Etat américain du Midwest, une région qui revient souvent dans la littérature américaine contemporaine.
Voir le très remarquable roman de S.Markley ("Ohio") et le dernier livre de
B.Kingsolver ("On m'appelle Demon Copperhead").
L'Ohio, dès la fin du 19ème siècle, est un centre industriel majeur, gisements de pétrole, mines, agriculture intensive .... une aubaine pour l'emploi et la main-d'oeuvre, la population va augmenter d'un million d'habitants.
Puis viendra la chute, la détresse économique croissante qui explique la situation des précarisés, des laissés pour compte, des abandonnés du système américain.
T.McDaniel a tant de choses à raconter sur l'histoire de ce lieu, elle le connait bien, elle y a grandi.
C'était aussi la source de son roman "Betty", paru en 2020, une autobiographie où elle évoquait son métissage entre une mère blanche et un père Cherokee, un pavé, une histoire de famille des années 50-60.
Magnifique !!
"Du côté sauvage", son troisième roman, encore une brique de 700 pages, est librement inspiré d'un fait divers.
A Chillicothe, une ville qui existe vraiment, six femmes disparaissent entre 2014 et 2015, quatre sont découvertes mortes, les deux autres jamais retrouvées. Affaire non élucidée.
T.McDaniel transpose cette affaire sordide dans les années 70-90, le décor est planté, sa prose et son art de conteuse aussi.
On fait connaissance avec les six femmes de Chillicothe, les victimes : des prostituées, des droguées dont l'existence invisible ne pèse pas lourd.
Leur environnement, une ville post- industrielle où la seule usine qui résiste est une papeterie qui dégage des effluves d'oeuf pourri et toxiques.
Leurs meurtres ou leurs disparitions, la police en fait peu de cas.
Avant tout, je vous présente deux personnages, deux jumelles, ARC et DAFFY, deux rousses aux yeux vairons qui ne se quittent jamais.
Leurs parents sont des junkies, et c'est leur grand-mère qui les prend sous ses ailes protectrices, pleine de connaissances ancestrales, elle surnomme les deux soeurs inséparables, les sorcières.
Les sorcières sont des femmes punies parce que leur sagesse est plus grande que celle des hommes, et c'est pour cela qu'elles sont pourchassées et brûlées.
Leur mamy leur transmet qu'il y a deux côtés :
le sauvage, celui de la vraie vie et le beau côté, celui de l'imagination où la beauté existe, où on peut créer, fantasmer et tout embellir. Et puis la grand mère disparaît, renversée par une voiture et tout bascule.
Les deux soeurs ont bien besoin de leur imaginaire entre les seringues et leurs clients.
Comme toutes leurs amies de coeur et de misère, quatre seront retrouvées mortes dans la rivière, quatre corps de femmes sans horizons, oubliées.
T.McDaniel en fait des héroïnes, dans ce récit dur, implacablement sombre, sordide, elle a le mérite d'en parler pour ne rien oublier.
Elle ne cherche pas à élucider ces meurtres, elle met en lumière malgré les ombres profondes, la fatalité sociale, la prédation des hommes en équilibrant la douleur et la beauté de la sororité.
Incontournable.