Dans cet essai des années 1970, Hannah Arendt aborde successivement trois thèmes dans trois chapitres, le mensonge, la désobéissance civile et la violence.
Le premier chapitre sur le mensonge en politique, écrit sur la fin de la guerre du Viêt-Nam est très nettement le plus incisif: au fil des pages Hannah Arendt y démontre de manière impitoyable comment la guerre a été conduite sur la base de mensonges à connotations politiques, principalement en pensant à l'image des États-Unis que la non-intervention puis la fin trop rapide d'une intervention américaine produirait, en conduisant:
- à prétendre intervenir dans une invasion alors que cela relevait plus de la guerre civile;
- à s'appuyer sur la peur d'un effet domino parfaitement inexistant, et dont les experts du sujet avaient prouvé l'inanité;
- à écarter ou ignorer de manière systématique les remontées du terrain et des experts pour prendre des décisions en s'appuyant sur des "solutionneurs de problèmes professionnels".
Autant de mensonges, construits, auto-entretenus et perpétués, couverts par le secret défense et dont les plus hautes autorités américaines étaient à la fois les productrices et les dupes. Un réquisitoire en règles contre les limites et les dérives de la "raison d'Etat" qui vient battre en brèche l'efficacité sur laquelle elle fonde son existence.
La deuxième section de l'ouvrage se penche sur la désobéissance civile, en partant des exemples de Socrate (d'ailleurs discutable) et de Thureau, fondateur du concept éponyme. Moins marquante que la première, cette section aborde néanmoins des réflexions clés, notamment sur l'articulation entre désobéissance civile et fonctionnement d'une société, les limites de cette désobéissance et la distinction qu'il convient de faire entre cette désobéissance et la délinquance (puisqu'il s'agit d'un mouvement 1) collectif, 2) public) d'une part et entre la désobéissance et la révolution (puisqu'il s'agit de remettre en cause des dysfonctionnements provenant du cadre existant et non le cadre).
Cet ouvrage propose aussi une distinction intéressante entre les types de contrat social qui fondent une société:
- D'ordre divin,
- d'ordre politique vertical (Hobbes)
- d'ordre politique horizontal (Locke) fondé sur le consentement.
La troisième section de l'ouvrage se penche pour sa part sur la violence Partant de la quasi-filiation consensuelle établie entre Etat et violence qu'Hannah Arendt interroge, cette partie passe au crible certains ouvrages de la Nouvelle Gauche, apologistes de la violence comme moyen d'action politique (Sorel, Sartre, Fanon) en questionnant leur pertinence et leur infidélité paradoxale au marxisme, tout en justifiant leur force par la bureaucratie (présentée comme une tyrannie maximale, règne de l'anonyme).
Surtout elle conclut de manière convaincante sur la dissociation profonde qui existe entre l'autorité et le pouvoir d'une part et la violence d'autre part, le premier s'appuyant sur la légitimité et la seconde étant susceptible de l'anéantir.
Si la vigoureuse critique de la bureaucratie (et son rôle vis à vis de la violence) ou la dissociation forte opérée entre pouvoir et violence (pensée notamment contre le totalitarisme) restent à mes yeux discutables, elles n'empêchent pas l'ouvrage de rester globalement actuel, 50 ans après sa parution.