Avec son premier roman, Du pain sur la table de l’oncle Milad, le journaliste libyen Mohammed Alnaas (né en 1991), a remporté en 2022 le Prix international de la fiction arabe, faisant de lui son plus jeune lauréat et le premier Libyen à le recevoir. L'excellent éditeur Le bruit du monde a eu la très bonne idée de publier en français ce livre passionnant qui raconte le quotidien des Libyens dans les années Kadhafi, à travers le destin d'un homme, fils de boulanger et amoureux du pain lui-même, et pétri, c'est le cas de le dire, de contradictions. Milad possède en effet une part de féminité en lui et il ne rechigne pas, bien au contraire, à s'occuper des tâches ménagères, alors que son épouse travaille, ou même à pratiquer, dans ses jeunes années, l'épilation au sucre sur les jambes de ses sœurs consentantes. Dans la société patriarcale où il vit, ce caractère ne peut que susciter la moquerie ou le mépris, de son père, d'abord, de son meilleur ami, ensuite, et de sa propre femme, d'autant plus que son couple reste stérile au fil des années. Narrateur, Milad évoque son existence dans le désordre : l'enfance, l'armée, le mariage avec une jeune fille émancipée, avec un épisode enchanteur en Tunisie, son conflit avec son oncle qui a récupéré la boulangerie paternelle, son travail dans une pizzeria, sa rencontre avec une femme fatale, etc. Et toujours, en fil rouge, le travail du pain, cet amour que l'auteur sait rendre sensuel dans de nombreuses descriptions. La conclusion de ce roman, qui alterne moments légers et tensions fortes, peut paraître brutale mais elle n'est que la résultante du conflit permanent qui habite un homme, cerné par les injonctions sociales et viriles et frustré de ne jamais pouvoir exprimer sa véritable identité. Un premier roman qui est un coup de maître et place d'emblée Mohammed Alnaas dans le sillage du grand auteur libyen Hisham Matar.