Ita fac, mi Lucili !
« Fais-le, mon cher Lucilius ». Dès les premiers mots de la correspondance, nous sommes pris.es dans la discussion entre Sénèque et son ami (réel ou fictif) Lucilius, avec qui l’on se...
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le 23 juin 2020
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De ce traité, il ne reste que quelques fragment, nous semble-t-il, car il ne fait que quelques pages. On peut traduire otium de différentes façons : le repos, l’oisiveté, le loisir. C’est la forme positive. Negotium est sa négation : c’est le temps du travail. C’est la division romaine du temps quotidien. Mon choix reste « le loisir », car c’est bien le droit que défend Sénèque : celui de rester chez soi pour lire des bouquins.
Dans ce traité, il ne semble pas tant opposer le loisir au negotium qu’à l’activité politique. Comme je le disais dans ma critique des Lettres à Lucilius, Sénèque se trouve dans une position délicate à la fin de sa vie. Démuni par la folie de Néron, il choisit le retrait de la vie politique et cherche une consolation dans la philosophie. Ce bout de traité semble singulièrement décrire et défendre sa position.
Il assure la conformité de la vie contemplative avec les dogmes stoïciens, puis nous affirme que celui qui se consacre au loisir n’est pas un inactif : simplement, il s’adonne à d’autres choses qu’à la politique. Chacun a le devoir d’être utile à soi et aux autres. Face à une société devenue folle, il défend le repli : « si ce n’est pas la volonté d’agir, mais les occasions d’agir qui lui manquent, lui refusera-t-on le droit de se retrancher en lui-même ? ». Si la société n’est pas propice à l’action politique, alors le retrait dans l’étude devient une nécessité pour chacun.e. Et, et… C’est tout, la suite nous manque ou n’a jamais été écrite.
Mais ajoutons un peu de piquant et disons que Sénèque fut l’homme le plus riche de son temps (une fortune de 300 millions de sesterces selon Paul Veyne, ça vaut son pesant de sangliers). Il faut bien se garder de voir en Sénèque un Paul Lafargue de son temps. Sa défense du loisir n’est pas politique, elle est éthique. Et comme la plupart des éthiques, elle se soucie peu des conditions empiriques de son application. Il n’avait de cesse dans les Lettres de vanter les mérites de la pauvreté pour l’endurcissement de l’âme : c’est le délire d’un homme qui n’a jamais dû travailler.
Alors, oui, mon petit Sénèque, tu peux rester vertueux dans le loisir. Mais faut-il encore que cette phrase ait un sens pour quiconque qui n’est pas sénateur romain.
Consolation à Marcia https://www.senscritique.com/livre/Consolation_a_Marcia/critique/224499064
De Beneficii https://www.senscritique.com/livre/Les_Bienfaits/critique/224132843
Lettres à Lucilius : https://www.senscritique.com/livre/Lettres_a_Lucilius/critique/222784965
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le 23 juin 2020
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