Une écriture limpide, qui s’élance vers les fragments d’un passé qui réfléchit encore, miroite et se plie dans les mots de l’auteur :
« L’expérience de ces purs après-midi de bonheur, qui ne représentent pourtant qu’une partie dérisoire, dans le temps, de ma première enfance et de mon adolescence – deux mois d’été pendant dix ans, et trois jours par semaine – a marqué ces années, et, comme dans une taillerie, où l’on rencontre ces gros blocs tailladés qui cachent des pierres lisses et minuscules, tout, dans ces quelques journées, avait gagné le stade de cette perle, tout cela qui, d’une ébauche, polie par le temps, était devenu une idole baigneuse, parmi les éboulis de quartz grossier, un morceau de nacre qui existait, de même qu’il reste longtemps, longtemps, dans le ventre du quartz avant qu’on ne l’entaille, qui existait en moi, en suspens, entre ma mémoire et mon cœur.
Le mardi, nous répétions des gestes identiques, mais déjà quelque chose semblait perdu, les conversations paraissaient plus désunies ;"
Un auteur qui souhaite entretenir la connivence avec cette notion désormais désuette qu’est l’innocence des premiers émois. Parce que l’essence des choses se dérobe toujours, en restituer des bouts de dialogues :
« Elle ne donnait jamais d’explication sur sa vie. Si on lui demandait « tu ne viens pas ? », elle répondait : « La glycine mauve est moins belle que la blanche, cette année », et si on insistait, « Aujourd’hui, nous avons un vrai ciel de vacances, pas comme hier ; quoique mardi aussi il faisait beau… » Des mots qui cherchaient des inclinations, des angles et qui, une fois lancés, ne s’arrêtaient plus.»
Des mots happés par la fulgurance du temps qui sait engloutir toute présence, tout flux, toute expérience :
« Et tout cela basculait. Il n’y avait plus la vitesse, il n’y avait plus la peur, il n’y avait plus l’auto, il n’y avait plus ni père ni maman ni aucun de mes frères et sœurs ; moi-même j’étais absent, tout ce monde qui venait de sombrer dans l’abîme n’était plus qu’une évocation dépolie ; et plus mes parents, la voiture, moi-même se faisaient lointains, étrangers, plus le paysage devenait tranchant ; les ondulations des arbres ondulaient sur moi, le ciel emplissait mon cerveau de sa buée bleue ; j’imaginais les gens, dans les campagnes longées, garçons d’écurie, meuniers, tonneliers, aubergistes, menuisiers, ébénistes, cordonniers, marchands de vin, teinturiers, chapeliers ; mais surtout je voyais le paysage, et c’était du nougat, et des fruits confits, dans la boîte à délices des jours.
A droite, où filaient les raidillons, tout s’est tu, tout s’est fané, le regard s’est déporté ailleurs, emmené dans une valse verte, très loin, quelque part dans une rêverie. »
Un roman réellement frais et léger, sans chuter dans l’insignifiance infatuée, cela mérite la relecture.