Incontournable Janvier 2022
Pour ce petit roman de 2021 ( arrivé en 2022 pour le Québec), j'ai du faire quelques recherches, puisque le sujet en présence ne m'est pas familier. J'ai donc navigué dans cette histoire avec un regard complètement neutre, mais au final, je trouve que le sujet fait écho à une de nos réalité au Canada. J'y reviendrai.
Geronimo n'aime guère se lever tôt, mais sa mère a un petit rituel pour rendre le lever un peu moins pénible. C'est que Geronimo et sa mère sont le seuls à se lever aussi tôt, mais il y a une raison à cela, une raison qui a son importance aussi bien pour le jeune garçon que pour sa mère. Elle le conduit aux abords d'une école, trahissant une certaine nervosité, mais tout de même résolue. Geronimo a l'habitude. Il enchaine les écoles, il se heurte aux mêmes préjugés, mais il aime l'école, puisque sa soif d'apprendre n'a pas de limites. Et peut-être bien que cette fois, les choses pourraient se dérouler autrement?
Geronimo, après quelques recherches, semble faire parti d'une communauté tsigane, mais peut-être plus précisément les Sinti ( appelés aussi "Manouches" par les français). Ce terme a été employé par les trois imbéciles qui se sont moqué de lui dans la cours d'école et à en juger par leurs propos ( "pas touche manouche"), il le taxe de voleur.
Quelques vérifications sur des articles de sociologie m'indiquent que les "communautés roms" vivent de l'exclusion, assortis de termes péjoratifs et de préjugés telles que "voleur", "malpropre", "profiteurs de système", "mendiants", "délinquants". Certains parents, de part leur statut illégal au pays, craindraient d'envoyer leurs enfants à l'école. On peut déduire que la faible scolarisation qui en résulte doit accentuer les iniquités entre ces communautés et les citoyens français. Il existe beaucoup d'enjeux politiques et sociaux les entourant.
La situation des Sinti me rappelle tristement celle de nos autochtones, ici au Québec, à ceci près qu'ils constituent les premières nations et non des immigrants illégaux. Néanmoins, ils ont pratiquement les mêmes stéréotypes et vivent une forme de stigmatisation systémique. Actuellement, c'est un sujet qui connait une bonne progression dans la bonne voie. Je me demande ce qu'il en est pour les communautés nomades de la France?
Donc, dans ce récit où la Nature et la philosophie animent chaque pages, Geronimo nous parle de cette carapace qu'il s'est construite pour survivre dans les écoles, de ces jugements dont il est la cible ( par exemple: sa voisine de classe va cacher sa belle gomme à effacer dans son étuis à crayon) et de sa perception du monde autours de lui, qui le fascine. Il fera la connaissance d'un professeur, Monsieur Chouraud, qui prendra sa défense quand aux trois brutes qui se moqueront de lui:
"[...] je ne capte pas tout ce qu'il hurle mais j'attrape quelques mots au passage. "Fraternité"."Imbéciles"."Honte"."Accueil". "Mon pied aux fesses". "Égalité". Et aussi "cerveaux de poulets". Bref, ça gonfle." ( P.76).
Bon, sans cautionner les insultes d'un prof à ses élèves, c'est tout-de-même touchant de voir deux des trois grands mots de la devise de la République Française servir son discours inclusif. La passivité fasse à la violence faite aux autres est aussi terrible que les auteurs de cette violence eux-même.
Mais au-delà du sujet de l'inclusion et du respect, il y a aussi la culture de ce groupe que je connaissais pas vraiment ( autrement que dans Notre-Dame-de-Paris). le concept de "Michto" ( terme romani) qui "qualifie toute chose qui apporte une sensation agréable et plaisante, avec une notion de plénitude sans équivoque" est un exemple ( Ref.Dictionnaire français Internaute). On nous parle aussi de la tente centrale, des caravanes, de la vie en communauté.
J'ai trouvé le personnage de Geronimo teinté d'une sagesse rare chez un jeune de son âge, avec un rapport à la Nature fort et d'une intelligence certaine. C'est un curieux et un philosophe. Il aime le soccer/football, les oiseaux, le chocolat au lait et la guitare. Il est également très perceptif. Bref, pas le portrait le plus courant de la littérature jeunesse.
Et que dire de cette plume rêveuse, capable de dire autant de choses en peu de mots. J'ai été porté par cette plume comme sur une brise, ça se lit comme une chanson. C'était beau et triste tout à la fois. Je souligne aussi que pour quelqu'un comme moi qui ne connait pas trop le sujet, comme peut-être certains français, on ne nous donne pas tous les indices en une fois. On apprend progressivement qui est Geronimo et l'enjeu l'entourant. On nous laisse deviner. Déjà, on commence dans la caravane, ce qui peut étonner, mais sans nommer qui ou quoi que ce soit. On se contente de suivre le personnage. J'ai réalisé l'enjeu quand on est arrivé à l'école, avec le comportement des autres personnages. Là j'ai percuté, et là, ça a fait mal. Parce que Geronimo ne mérite pas ce traitement. Ni aucuns enfant d'ailleurs.
Mention spéciale à la maman, qui est la seule à envoyer son fils dans une école, malgré ses craintes et ses appréhensions, parce qu'elle "sait". Elle connait la curiosité de son fils et voit son potentiel, et malgré l'inconfort, l'accompagne chaque matin aux portes d'écoles différentes.
Le dessin sert bien son sujet. Il est simple, un mélanges de lignes sketch à la plume noire, avec des clairs-obscurs de gris et un unique cyan/bleu comme couleur. Un bon choix, je trouve, parce que le bleu est naturellement apaisant pour l'esprit humain.
J'ai beaucoup aimé ce petit roman, différent, instructif, humain, avec une plume poétique qui peut rejoindre plusieurs lectorats dès l'école primaire. On s'attache sans peine aux personnage, on ressent bien leurs émotions. Un hymne à l'ouverture d'esprit, à l'inclusion et au partage.
Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans et plus.