Critique de Ebène par tipi1990
L'auteur nous emmène ici dans différents pays d'Afrique. Il a voyagé à l'intérieur de ce continent pendant plus de 40 ans et nous brosse un portrait de différentes facettes de différentes...
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le 29 mai 2018
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Ryszard Kapuscinski est sombre, lucide et fascinant. Ayant fui la Pologne, cet intrépide reporter sillonna inlassablement l’Afrique, des temps heureux des premières indépendances aux années de crise de la fin du siècle dernier. En une trentaine de courts chapitres et autant de rencontres, il nous initie aux mystères africains. Le propos est trop riche pour être résumé ou critiqué, voici quelques notes.
• L’Afrique est immense et multiple, il n’existe pas une culture africaine, mais des milliers de sociétés distinctes.
• Une nature hostile a façonné l’homme africain. « Le problème avec l'Afrique, c'est la contradiction entre l'homme et son environnement, entre l'immensité de l'espace (plus de 30 millions de kilomètres carrés !) et son habitant, un homme sans pouvoir, nu-pieds, misérable. » Impossible de vivre seul dans le désert ou la forêt. Pour survivre, les Africains se sont liés à des groupes, des clans. « Nous baignons ici dans l'univers paranoïaque et obsessionnel des préjugés, des dégoûts et des aversions ethniques interafricaines. (…) L'aveuglement ethnique a entre autres pour conséquence que (…) personne ne s'intéresse à la sagesse, la bonté, la bienveillance ou au contraire à la méchanceté et à la perversité de X ou Y. En revanche, on se demandera s'il vient de la tribu bari, toro, boussoga ou nandi. Il ne sera classifié et apprécié qu'en fonction de son origine. »
• Ce monde est gouverné par des forces surnaturelles concrètes. Le mal n’est pas en nous, mais à l’extérieur du clan, incarné dans un sorcier, qui, consciemment ou pas, nous a jeté un sort. À nous de l’identifier, afin de nous venger. Pas simple.
• L’homme africain fait preuve d’une fascinante capacité à patienter. « L'Européen se sent au service du temps, il dépend de lui, il en est le sujet. Pour exister et fonctionner, il doit observer ses lois immuables et inaltérables, ses principes et ses règles rigides. (…) Pour les Africains le temps est une catégorie beaucoup plus lâche, ouverte, élastique, subjective (…) le temps est le résultat de notre action, et il disparaît quand nous n'entreprenons pas ou abandonnons une action. Le temps est un être passif, et surtout dépendant de l'homme. (...) Si nous allons à la campagne où doit se tenir une réunion, et qu'il n'y a personne sur les lieux de la réunion, la question "quand aura lieu la réunion ?" est insensée. Car la réponse est connue d'avance : "Quand les gens se seront réunis." »
• L’auteur décrit un univers impitoyable. Des millions d’hommes vivent au jour de jour, dans des camps de réfugiés, sur des terres incultes ou dans les tentaculaires bidonvilles des métropoles, ne possédant rien, entièrement soumis aux aléas du destin, mangeant quand ils peuvent, attendant patiemment l’opportunité de vivre un jour de plus. « Nous sommes en présence d'hommes peu préoccupés de la transcendance ou de l'essence de l'âme, du sens de la vie et de la nature de l'existence. Nous sommes dans un monde où l'homme rampe pour tenter de racler dans la boue quelques grains de blés pour survivre jusqu'au lendemain. »
• Pour d’autres, le destin a été plus favorable, du moins jusqu’à au prochain coup d’État. « Hier pauvres et humiliés, ce sont aujourd'hui des élus, ils occupent un poste important et disposent d'une bourse bien garnie. L'adoption du système insensé des salaires des Européens engendre dans les nouveaux États africains une lutte pour le pouvoir d'une violence et d'une cruauté inouïes. Instantanément une nouvelle classe gouvernante apparaît, une bourgeoisie bureaucratique qui ne crée rien, ne produit rien, se contentant de gérer une société et de profiter de ses privilèges. Le mécanisme du XXe siècle selon lequel tout se fait dans la précipitation et la frénésie fonctionne également ici. Jadis l'émergence d'une classe sociale nécessitait des décennies, voire des siècles de gestation. Ici, il a suffi de quelques jours. »
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le 6 sept. 2018
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